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DEBATunisie
22 novembre 2022

Sommet de la cacophonie

Je m'excuse auprès de ceux qui vivent dans l'attente de mes dessins et pour qui, une caricature de Z sert de calmant dans un monde de plus en plus tourmenté. Cela fait presqu'un mois que je n'ai rien produit alors que l'actualité tunisienne et internationale s'emballe. J'attends que la CNSS reconnaisse mon statut d'anxiolytique national afin de me faire subventionner par l'Etat et me consacrer entièrement à mon travail citoyen de caricature et de protection de la nature. 

Coupe immonde du Qatar

Je n'ai pas encore de nouveaux dessins à vous proposer sur le sujet. Mais j'y travaille. Pour avoir suivi et caricaturé depuis la révolution l'ingérence de ce petit pays dans nos affaires intérieures (soutien des islamistes notamment), et pour avoir dénoncé le cancer "capitallahiste" qui contamine ces monarchies du golfe, je ne peux que soutenir le boycott de cette Coupe du Monde, de la même manière que j'ai toujours appelé au boycott de tout business avec les wahha-p'tites-bites, pèlerinage de la Mecque compris.

Je profite de cette parenthèse pour publier un vieux dessin datant de 2013 qui évoque la corruption à échelle mondiale que menait depuis longtemps cet émirat...

QUEUTARD

 (dessin extrait de ce post du 17 Avril 2013)

Sommet de la francophonie à Djerba

Rappelons que l'initiative d'un sommet de la francophonie remonte à 2018, quand le président français avait décidé de confier à la "jeune démocratie" tunisienne l'organisation de l'évènement pour 2020. A cause du COVID, le sommet a été reporté pour 2021, année du coup d'état. L'argument de jeune démocratie ne tenait plus sous le règne de Zabaïed, et des voix commençaient à s'élever, notamment celle du Canada, menaçant de boycotter le sommet. Mais la crise du COVID se poursuivant en 2021, a pu justifier le report du sommet pour 2022. Cet énième report a joué en faveur de la Tunisie qui, malgré toutes ces tergiversations, a pu enfin organiser en grande pompe dans l'île de Djerba, le 18ième sommet de la Francophonie (voir ici). 

Du 18 au 20 Novembre a donc ouvert ses portes cet événement dans lequel on a vu défiler une grande délégation de présidents et hauts responsables africains, en plus de la présence notoire de Macron et Trudeau, sans oublier notre zinzin de Carthage qui a inauguré le bal avec un indigeste discours en français. Si ses formulations alambiquées ont endormi la moitié de la salle, il a plongé l'autre moitié dans une profonde perplexité (voir ici). Je regrette de n'avoir pas préparé une brochure illustrée pour aider les invités à appréhender le phénomène Kaïs Saïed.   

De manière générale, on peut se demander sérieusement, quel sens donner à l'organisation d'un sommet de la francophonie en Afrique, à une époque où le français, pour toute une génération, n'évoque plus que les barrières policières et les nombreuses vexations et humiliations que fait subir la France à tous ces jeunes du sud qui veulent rejoindre ses terres et ce au prix de leurs vies.

Etant moi-même francophone et francophile, produit du système éducatif bourguibien, je constate après 15ans de blogging, la défection et désaffection progressive du jeune public qui ne maitrise plus la langue de Molière, qui ne lui trouve plus aucun attrait et qui lui préfère l'anglais. Les médias francophones en Tunisie signalent le même phénomène et notent également la stigmatisation dont ils font l'objet et ce par un certain public conservateur, qui voit dans l'usage du français une nostalgie de l'époque coloniale.     

Cependant, et pour ne pas conclure sur une note négative, retenons que nous avons évité de justesse un concert de Céline Dion qui a failli faire partie de la délégation canadienne. 

HamdouBoukornine !

Le clou du spectacle

Dans tout ce bordel mondial, qu'il s'agisse des graves conséquences du changement climatique, de la coupe du monde au Qatar, de la guerre en Ukraine, ou encore du sommet de la francophonie, ce qui a le plus retenu mon attention de flamant rose c'est ce scandale passé presqu'inaperçu (*), et dont je vais tenter ici de vous faire le résumé :

Il s'agit du centre culturel fondé à Djerba par le grand homme de théâtre Fadhel Jaziri. Inauguré une semaine avant le sommet de la francophonie, ce complexe architectural de 7000 m², comprend une salle de théâtre en plein air, une galerie d'exposition, une salle de danse et des studios d'enregistrement (voir ici). Financé par des fonds privés et situé dans un terrain appartenant à l'artiste lui-même, l'établissement jouît d'une vue imprenable sur la mer et bénéficie d'un environnement naturel typique de l'île de Djerba. Jusque là, tout va bien. Pourquoi donc critiquer une aussi belle initiative dans un pays qui manque cruellement d'équipements culturels et dans lequel l'Etat est aux abonnés absents ? 

Anguille sous roche

Le terrain qui appartient à Fadhel Jaziri était classé zone agricole, donc non constructible. Mais à la suite de la révolution de 2011, l'artiste a su profiter de ses réseaux dans les plus hautes sphères du pouvoir, pour obtenir une dérogation signée de la main de l'éphémère président de l'époque, le fantomatique Foued M'bazaa. Rien de répréhensible en apparence, puisque la vocation sociale et culturelle du projet peut justifier exceptionnellement le déclassement du terrain (encore que...). A la différence de tous les bouseux qui avaient aussi profité du bordel révolutionnaire pour construire sur les terres agricoles sans autorisation, lui au moins, en bon Ben Simpson, bénéficiait d'un décret signé par son copain président (voir ici).

Mais voilà, il se trouve que le terrain fait partie d'un large périmètre de plus de 2000 hectares, classé en 2007 dans la liste des sites Ramsar. Il s'agit d'un traité international (initié en 1971 dans la ville iranienne de Ramsar) qui recense à l'échelle mondiale les zones humides à protéger, notamment celles qui constituent un habitat pour les "oiseaux d'eau", tels que mes amis les flamants roses !

Cette convention engage les pays signataires, à orienter leur politique d'aménagement du territoire en vue de préserver ces zones. Les activités humaines pouvant perturber ces écosystèmes vulnérables sont donc proscrites. 

La dérogation dont a bénéficié Jaziri contredisait de fait les termes de la convention. Et Jaziri le savait. 

DJERBA

Faillite morale 

Comme le lac Ichkeul ou encore le Chott El Jerid, ces sites s'inscrivent dans l'histoire longue du vivant et constituent des trésors de la nature. Dans un contexte cataclysmique où l'espèce humaine est responsable de la disparition de 70% de la faune, les nobles intentions d'un Fadhel Jaziri ne changent en rien sa participation au saccage du patrimoine naturel.  

Certes, son projet de centre culturel ne s'apparente pas à de la corruption comme ce fut le cas sous Ben Ali, à l'époque des prédations immobilières de la famille Trabelsi, ou des mégaprojets émiratis sur les berges du lac. Mais si l'on regarde de près, c'est peut-être encore plus grave :

Ce centre culturel est le syndrome de la faillite intellectuelle et morale de nos élites. Il indique leur degré d'indifférence et de méconnaissance de la question écologique. Qu'attendre donc du reste de la population si même nos poètes font preuve d'un tel mépris ? Car dans cette histoire, il ne s'agit pas seulement de Jaziri. Ils étaient tous là. Un avion de Tunis a même été affrété spécialement pour l'inauguration. Les gens de la culture, intellectuels, journalistes et politiques sont tous venus pour applaudir cette aberration. Les rares défenseurs de la nature qui ont osé protester contre le projet se sont faits traiter de tous les noms d'oiseau...

C'est dire leur considération pour les flamants.

Conclusion

Avec tout ce que j'écris sur mes vieux collègues artistes, je sens que je ne me ferai plus de copains dans ce petit milieu qui aime cultiver l'entre-soi. 

Si j'étais Jaziri, et que j'avais un immense terrain dans une zone protégée, j'aurais peut-être aussi fait un centre culturel, mais d'un autre type. J'aurais ponctuellement bougé la terre et créé des talus, pour aménager un espace d'observation des oiseaux d'eau. J'aurais fait appel à des menuisiers locaux, pour fabriquer des structures légères et abriter du soleil ou de la pluie, les enfants, les écoliers, les poètes, peintres et artistes venus contempler en silence l'un des derniers spectacles d'une nature préservée. Je n'aurais pas attendu le sommet de la francophonie, ni compté sur le soutien des capitalistes ou de l'Etat. Je me serais d'abord rapproché des ornithologues, des experts locaux et des spécialistes internationaux de Ramsar afin de bénéficier de leurs conseils, de leurs expériences et savoirs.

Et j'inaugurerais ainsi mon premier temple boukorniste. Consolidant ma base, j'irais à la reconquête de toutes les sebkhas du bled, de l'Afrique du nord jusqu'à la Mecque...
_____________________

(*) C'est à la suite de l'interview du journaliste et activiste Aymen Rezgui sur la Radio Misk, que j'ai commencé à mener ma petite enquête sur le problématique centre culturel de Djerba. Je vous mets ici le lien de cette interview :
https://www.facebook.com/miskdigital/videos/507220994650445  

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Commentaires
F
Le pays est saccagé de partout, du nord au sud et s'y ajoute l'exploitation du gaz de schiste.On parle aussi de la prochaine implantation de panneaux solaires au Sahara qui non seulement ne profiteront pas aux tunisiens mais en plus promettent de gros dégâts Environnementaux.Une vraie catastrophe en perspective et la mort de soif des humains et des bêtes.Un si beau pays...quel gâchis...
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G
Cher Z<br /> <br /> Je vous signale en ma qualité de fervent boukorniste que vous avez ignoré la profanation du Boukornine par le président tunisien et son sbire le gouverneur de Ben Arous lors la fête de l'arbre.<br /> <br /> Quand est-ce qu'on pourrait espérer avoir droit à une réparation satirique par une caricature sabkhiste à défaut d'une réparation par les voies légales judiciaires?<br /> <br /> Merci beaucoup pour votre militantisme et encore mes compliments pour votre parcours artistique.
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