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DEBATunisie
13 juin 2023

Je suis un juif tunisien

J'ai vu le documentaire "Je reviendrai là-bas نرجعلك" de Yassine Redissi. Ce documentaire raconte l'histoire d'un chanteur juif tunisien du nom d'Henri Tibi (1930-2013), méconnu et redécouvert après sa mort grâce à internet. Si j'éprouve le besoin de vous parler de ce film, c'est suite à l'étrange et douloureuse révélation qu'a produite sur moi l'histoire de ce monsieur : j'ai découvert que je suis aussi un juif tunisien. J'avoue avoir été complètement noyé par l'émotion en visionnant ce film qui fouille dans le passé d'un homme abandonné, un chanteur poète et photographe d'une Tunisie estivale des années 70, qui n'a cessé de chanter l'amour de son pays, même quand il s'est retrouvé en exile, quelque part vers Besançon, vivant seul parmi ses chats.

Tibi est une sorte de Moondog tunisien, qui reprend vie grâce au travail "archéologique" de Redissi. A travers des documents, photos et témoignages qui racontent l'histoire d'un individu, le documentaire nous jette à la figure la réalité de tout un pays...un pays ingrat, amnésique et sans mémoire. La seule lueur d'espoir, c'est le documentaire lui-même qui devient performatif par le simple fait de son existence, qui est en soi, une sorte de Justice posthume rendue au chanteur. C'est la lueur d'espoir que retient le public en sortant de la salle, et qui permet de rester optimiste. Malgré la cruauté de l'histoire, voilà que le cinéma et la musique (bravo à Slim ben Ammar qui reprend les chansons de Tibi) gardent le fil de la mémoire et sauvent l'honneur de la Tunisie et de l'Humanité toute entière. 

Alors pourquoi cette identification à Tibi que j'ai ressentie, moi et plusieurs de mes compagnons de cinéma tout aussi émus et bouleversés par le film?

Je ne voudrai pas ici replonger dans une histoire que je ne maitrise pas suffisamment, celle du départ (volontaire ou pas) des juifs tunisiens vers l'Europe (d'autres vers Israël). Je note cependant, que mon manque de connaissance sur cette question est en soi problématique. On relie souvent cet exode à la guerre des six jours, celle où Israël humilia les arabes, entrainant une vague anti-juive en Tunisie et ailleurs. Mais quelque chose nous échappe encore, car les raisons doivent-être plus profondes. Cette guerre n'a dû être qu'un facteur accélérateur d'un processus déjà à l'œuvre.
 
Tibi lui-même d'après le documentaire, n'était pas parti à cause de la guerre. Son exile en France était progressif. Il multipliait ses aller-retours vers Tunis car il refusait de quitter son paradis comme il le disait lui-même. Mais les années passant, il ne reconnaissait plus les plages qu'il chantait, les gens qu'il photographiait, quelque chose semblait être définitivement cassée. C'est exactement ce sentiment qui est partagé par des tunisiens non juifs de la diaspora : quelque chose semble être définitivement cassée. En cela nous sommes des juifs tunisiens quand nous rentrons l'été dans notre propre pays. Et c'est aussi une cassure lente et progressive entre "nous" et les "autres".

J'ignore les raisons exactes de ce divorce. Est-ce lié à "l'occidentalisation" de la diaspora qui adopterait une vision raciste envers les "autochtones" restés au "bled" ? Je ne le pense pas. Le divorce n'est pas du fait de la diaspora. Il est surtout interne au pays, lié à un discours politique de plus en plus répandu qui stigmatise le "zmigri", le binational, le francophone, bref le nouveau "juif cosmopolite", prétendument traitre et comploteur manigançant contre une Tunisie pure, musulmane et éternelle.

NFT_TIBI

( dessin NFTisé ici )

Et si Saïed était le nom de ce mal ?

Désolé de revenir sur le terrain de l'actualité politique, mais l'on ne peut pas expliquer cette stigmatisation sans revenir sur le cas problématique de Kaïs Saïed, qui incarne l'apogée, le point culminant, le terminus d'un long chemin de repli identitaire, entamé sous Bourguiba, dans lequel s'est enfoncée la Tunisie sous le médiocre Ben Ali et qui s'est exacerbé après la Révolution (et ce malgré les espoirs qu'avait suscités la dite Révolution).

Mais cette monstruosité politique qu'est Saïed (j'assume parfaitement le terme) n'est pas fortuite et elle est à l'image d'un mal planétaire (on observe le même phénomène dans le sud comme dans le nord). Très paradoxal d'ailleurs de noter, que cette bêtise devenue tellement naturelle coïncide avec l'émergence de l'intelligence dite artificielle. Passons ! 

Lisez par vous-même cette lettre ouverte rédigée par des "universitaires" de Sfax adressée à Zabaïed (Lire ici). Une lettre ouvertement raciste qui évoque "le péril noir" et le "projet satanique" de colonisation de l'Afrique du nord...Lisez, mais ne vous indignez plus car c'est le monde dans lequel nous vivons.

Heureusement que la page a été retirée, mais sachez que durant des heures, elle était en ligne et accessible depuis le site de notre quotidien national, "La Presse". Vous me direz que cet obscur groupe universitaire, n'est pas représentatif, mais je n'en suis pas sûr quand on se rappelle de la violence qui s'est déchaînée sur les subsahariens suite au discours raciste de Saied prononcé le 21 Février dernier (dont je ne me suis toujours pas remis). Tout ceci renseigne sur l'intensité du mal qui ronge notre société.

La Tunisie sous-traitant du racisme occidental 

Le dessin qui suit, est une rectification de celui du post précédent (voir ici). Il illustre le retour de Meloni en Tunisie accompagnée de Von der Leyen ce dimanche 11 Juin (voir ici), pour mieux domestiquer la bête Saïed, afin de charger la Tunisie de faire le sale boulot (garde-frontière) moyennant quelques maigres subsides et la promesse d'une aide du FMI...

MELONI_VON_DER_LEYEN

Adieu la Tunisie rêvée de Tibi...

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