Mes amis, désormais il y aura un avant et un après Chokri Belaïd. Son assassinat marque non seulement un tournant important de la révolution, mais aussi de l'histoire du pays. Même si l'on ignore tout de l'identité du criminel, il faut être ou stupide ou collabo pour ne pas désigner l'actuel gouvernement comme premier responsable de cet ignoble attentat. Car cela fait bien longtemps que de nombreuses voix se sont élevées contre le climat de violence général toléré et promu par le régime lui-même. Combien de fois n'a-t-on pas tiré la sonnette d'alarme contre l'appel d'élus islamistes ou de prédicateurs religieux qui justifient le recours à la violence contre les grévistes, contre les opposants ou contre les artistes. A ces cris de détresse émis par la société civile, le gouvernement demeurait sourd et indifférent. Tel un imperturbable bouddha au sourire moqueur, il nous répondait par un doigt d'honneur. Son silence est plus que complice. Je le redis, c'est Zaballah le premier responsable! Et même si se vérifie la stupide théorie conspirationniste de la main mauve, rien n y fera. Zaballah demeure le promoteur de ce climat et les accusations qui lui tombent dessus, ne sont que le fruit naturel des graines qu'il a semées.
Mais alors diront certains, quel bénéfice tirerait Ennhadha d'un tel crime ?
Rien justement, car cet acte n'obéït à aucune logique. Il n'est que le résultat d'un coup de tête, aussi improvisé que la politique générale du gouvernement. Permettez-moi chers amis, au risque de vous ennuyer, de vous émettre ma théorie générale sur Nada par lequelle j'en arrive à cette conclusion: l'assassinat de Belaïd, n'est qu'un acte aussi désespéré qu'absurde et qui n'obéit qu'à l'instinct animal revanchard de ses commanditaires (nahdhaouis).
Beaucoup partent du raisonnement qu'Ennahdha et les islamistes de manière générale, seraient de fins stratèges qui ne laissent rien au hasard. On a tous été impressionnés par leurs scores aux élections et on a même salué leur sens de l'organisation. Je pense cependant que nous les surestimons. Certaines évidences nous échappent tellement elles sont grandes. D'abord rappelons une chose: Ces partis n'ont jamais exprimé la moindre intelligence ni dans leurs diagnostiques de nos sociétés ni dans les projets qu'ils proposent. Ils partent d'un faux apriori selon lequel la société est unanimement conservatrice et religieuse et que donc le seul projet qui vaille se réduirait à la lutte pour l'identité. La vacuité de leur projet n'a eu d'écho que grâce à la vacuité politique générale et, avouons-le, grâce à la crédulité d'une grande partie de nos concitoyens victimes des ravages d'un demi siècle de dictature.
En outre, l'islamisme a toujours été un pion stratégique. Usé ici et là. Contre le communisme par les dictatures ou par l'Amérique, ou alors instrumentalisés par les Wahhabites pour asseoir leur contrôle sur nos contrées. Tout ça pour dire, que de la Tunisie à l'Egypte, en passant par la Libye, nous avons à faire à des clubs de cyclistes amateurs dopés à bloc et qui ne doivent leur popularité qu'à la couleur vert fluo de leur maillot. Alors rien d'étonnant que lorsqu'ils prennent le guidon du pouvoir, ils naviguent à vue, ils improvisent et paniquent très vite au moindre imprévu. S'en suit la violence, qui n'est que le refuge de leur incompétence, comme dirait Azimov. L'assasinat de Chokri Belaïd n'est qu'un acte gratuit provoqué par un accès de panique au sein de l'écurie.
Et pour ne rien arranger, en réaction à la colère générale, ils nous ressortent leurs clubs de supporters, avec des bus loués pour l'occasion comme sous Ben Ali (voir ici). Ils reproduisent à l'identitique les scènes de liesse artificielles pro-gouvernementales comme au bon vieux temps, lorsque la vie était mauve. Ils ressortent les sempiternelles théories du complot contre la Tunisie orchestré par l'étranger. Des gentils patriotes surgissent ensuite de nulle part pour signer des pétitions contre les méchants occidentaux. Bref comme au mauvieux temps. Savourez cette lettre patriotique qui donne la chaire de poule (ici)
Pourquoi Chokri?
A la décharge d'Ennahdha, son instinct animal lui permet de repérer au flair ses véritables ennemis. Nada a reniflé dans la popularité croissante de la gauche radicale un danger plus inquiétant que le succès du vieux Béji. En effet cette gauche incarnée par Hamma et par Chokri a de bonnes raisons de faire paniquer "l'internationale islamiste" dans son ensemble. Cette gauche s'infiltre progressivement dans les classes populaires supposées acquises à l'islamisme. Son discours atteint de plus en plus de citoyens et Chokri était pour le coup un excellent tribun qui faisait vibrer les foules. Quel catastrophe pour le projet wahhabite que de se faire concurrencer dans ses chasses gardées par des athées! Imaginez les conséquences géopolitiques d'une Cheguevarisation du monde arabe! Ce serait l'apocalypse pour tous les gardiens de l'actuel ordre établi...
Je suis vraiment triste pour vous que votre révolution tourne comme cela. Cela dit il ne faut pas perdre espoir, et comme vous le dites, il ne faut pas faire des islamistes des pros de la stratégie politique. Leur ascension, ils la doivent avant tout à l'argent des monarchies du Golfe.
J'ai vu les obsèques de Chokri Belaïd à la télé française, et ça m'a brisé le coeur de voir les gens aussi désespérés. Maintenant quelque chose qui m'a interpellée, c'est qu'à un moment, une dame s'est crue obligée de préciser "on est des bons musulmans". Or le piège est là. Il ne faut surtout pas se laisser toucher par les suspicions d'hérésie. Personne n'a le droit de vous demander un certificat de bon croyant. J'ai l'impression que les islamistes comptent un peu sur la dessus, sur le fait que personne ou presque n'ose se dire athée, agnostique, apostat, ou revendique l'indifférence au fait religieux. Peut-être y a-t-il de la pédagogie à faire sur la liberté de conscience?
En France, séparer l'Eglise de l'Etat a été une vraie lutte, violente et longue. Et les gens ont mis un certain temps à comprendre que si l'Eglise était épisodiquement dans une certaine opposition, dans les faits elle était toujours du côté de son propre intérêt, et non du côté du peuple.
Tout ça pour dire que vraiment, vous avez du mérite de continuer à vous battre comme vous le faites. On reste tous admiratifs de vos efforts pour vous libérer, et j'espère que vous triompherez. Hasta la victoria siempre!