Rappelez-vous chers amis du plus grand drapeau du monde déployé en plein désert. Composé de 80 km de tissus, cette performance artistique aux couleurs du drapeau tunisien constituait une première mondiale. On la doit en grande partie à notre ministre du tourisme qui a voulu par cette action promouvoir le tourisme tunisien. Malheureusement, cette oeuvre incroyable sera balayée par le sable et par les terroristes qui chasseront du bled tous les vacanciers étrangers. Mais notre classe politique n'est jamais à court d'idées: après le plus grand drapeau du monde, le chef du gouvernement imagine le plus long mur anti-barbu du monde. S'étendant sur 150 km, cette oeuvre de "land art" située sur les frontières libyennes devra chasser les terroristes et faire ainsi revenir les touristes. Bref un nouvel exploit bientôt inscrit au Guiness des records.

Le mur du çon *

La Tunisie de Nida-Nada est une muraille de conneries solides et entêtées. Inutile ici de disserter sur l'absurdité même de l'idée du mur. A l'époque où les réseaux terroristes deviennent dématérialisés et déterritorialisés, notre premier ministre continue à croire que son mur épargnera la Tunisie du djihadisme. Absurde idée alors que notre pays est le fournisseur officiel de Daech. C'est plutôt à l'Algérie et à la Libye de construire des murs pour se protéger de nos jeunes écervelés.
Le mur est pourtant la source même de nos problèmes. Nul besoin de le bâtir, il est déjà érigé depuis longtemps au coeur même de notre société. Il la coupe en deux. Il est cette ligne imaginaire à partir de laquelle se construisent tous les fantasmes, les ressentiments, les peurs qui séparent deux Tunisie qui se côtoient sans jamais se rencontrer. La télévision et l'internet sont les seuls fenêtres par lesquelles communiquent ces deux mondes séparés. Chaque partie retient une image suramplifiée, déformée, distorsionnée de l'autre. Un feuilleton télévisé** où chacun croit reconnaître l'autre. Ramadan est le mois de ce spectacle***.
L'Etat semble ignorer cette réalité et croit unir ce beau monde autour d'un drapeau. L'Etat est pourtant l'architecte même de ce mur et le responsable de ses clivages...       

FEUILLETON

* inspiré du titre d'une rubrique du "Canard enchaîné"

** Les feuilletons télévisés de Ramadan sont symptomatiques de cette distorsion. Ils agissent comme des verres grossissants et provoquent des polémiques. C'est la série "Hkeyet Tounseya" qui en ce moment focalise toute l'attention. Elle enregistre à la fois le plus haut taux d'audience et récolte les plus véhémentes critiques. Cette série est une banale fiction à la sauce mexicaine dépourvue de toute forme d'intelligence. Les acteurs sont le Fric, l'Alcool, la drogue et le sexe. Les dits "progressistes" y voient une sorte de psychanalyse freudienne de la société tunisienne et savourent le bras d'honneur fait aux islamistes, alors que les conservateurs voient dans cette idiote série télévisée, la promotion d'une modernité bourgeoise débauchée.
Il est tout simplement triste de constater qu'une aussi médiocre production, puisse faire autant de bruit et continue ainsi à consolider le mur de séparation.        

*** "Le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images", La société du spectacle, Guy Debord