Maraboutage de La Goulette
J'ai voulu faire de mon blog une cellule de veille sur tous les "maraboutages" et "émiratages" qui sévissent sur le territoire. Ce que j'appelle de la sorte ce sont ces grands projets immobiliers décidés "d'en haut", émanant de marabouts locaux ou d'émirs orientaux, qui façonnent notre cadre de vie quotidien en se passant de toute concertation avec les citoyens et les autorités locales. Ce sont des projets motivés d'abord par des intérêts économiques particuliers et qui nous sont vendus comme des projets sociaux et urbains d'intérêt général. S'il est possible que certains puissent avoir un impact positif et revêtir une image moderne, leur mode de montage opaque n'en demeure pas moins archaïque et surtout anti-démocratique.
Village touristique pour croisiéristes à La Goulette
Voilà une opération très prometteuse, qui nous a été présentée en ces termes élogieux par le journal Le Temps il y a de cela une année:
"Le projet
permettra de créer de nouveaux emplois mais il doit contribuer, plus
particulièrement, à l'embellissement et à la valorisation urbaine de la
zone des bacs, restée inexploitée pour ainsi dire et constituée, à
plusieurs endroits, de terrains nus, abandonnés à leur propre sort" ( voir l'intégralité de l'article ici) La rengaine de l'emploi et de l'embellissement de la ville sont les sempiternels arguments qui légitiment ce type d'opération.
Projet anti-urbain
Intervenir sur une ville aussi chargée d'histoire et de symboles comme La Goulette demande une réflexion profonde sur son urbanisme et ses composantes sociales. Et pourtant, L'architecte Tarek Ben Miled chargé de l'opération (information à confirmer) compte nous reconstituer, d'après le journal, une deuxième Médina Yesmine Hammamet. L'idée même d'un projet en "médina" annonce une contradiction flagrante avec le caractère européen et extraverti de La Goulette. On devine déjà (et la maquette ici le confirme) l'enclave de luxe fortifiée offrant aux touristes de passage toute la dose de folklore et d'exotisme nécessaire pour consommer. Tout indique qu'il n'y a pas de volonté de s'inscrire dans une continuité avec la ville mais bel et bien de s'en exclure.
Par ailleurs, ce projet, dit de valorisation urbaine, tout en ignorant le tissu existant, s'attaque au patrimoine architectural environnant. En effet, les bulldozers n'ont pas épargné un ancien immeuble du Baron d'Erlanger, dit aussi immeuble du Bratel, abritant plusieurs familles qui se sont vues toutes expulsées manu militari le 12 janvier 2010 (voir l'article du journal électronique Assabilonline). Bien entendu, Le quotidien le Temps ne pipera mot de ce "fait divers".
Projet anti-social
Selon la loi, l'expropriation ne peut s'appliquer qu'en cas d'entrave à un projet d'utilité publique. Sans se perdre dans des considérations juridiques complexes, il y a certainement lieu de discuter de l'utilité publique d'un tel projet privé (c'est ce qu'on verra pas la suite). Puis surtout, il y a lieu de s'interroger sur le mode d'expulsion des habitants des lieux. En effet, il s'agissait d'une sorte d'oukala abritant 18 familles de condition sociale modeste. Le bâtiment était en bon état et ses résidents étaient en règle avec la loi. Il a été certes convenu des les loger ailleurs mais cela n'excuse pas l'empressement des autorités à en découdre. Leurs témoignages (ici, ici et ici) décrivent le traumatisme vécu par l'arrivée surprise des bulldozers le 12 Janviers. A se demander si cette histoire rocambolesque a bien lieu à La Goulette ou en territoires occupés de Cisjordanie?
Derrière chaque tabou se cache un marabout
Les articles de presse et les vidéos par lesquels j'ai pu recueillir ces informations sont évidement issus des médias d'opposition censurés (assabileonline et kalima). Des articles parus dans le Tariq Ejjadid abordent aussi cette affaire (ici et ici). Il est regrettable que les poignants témoignages enregistrés par nos journalistes militants soient dopés de musiques dramatiques et de pathos à la manière des feuilletons égyptiens. Je trouve qu'ils perdent de leur pertinence et qu'ils trahissent la cause qu'ils sont censés défendre. Par ailleurs, un tabou semble hanter nos reporters: Alors qu'ils nous plongent au cœur du malheur des ces pauvres gens, Ils nous laissent sur notre faim et ne nous soufflent mot des responsables de cette tragédie. Ils auraient peut-être, été plus explicites si derrière ce fracassant projet touristique ne se cachait un certain...Pierre de Mateur! (encore lui!)
Vous l'avez deviné, c'est encore notre marabout national qui vient de frapper. En effet, Sa société Goulette Shipping Cruise (GSC) qui reçoit déjà les bateaux de croisière à La Goulette, compte cette fois passer à la vitesse supérieure et construire un village touristique sur les quais du port (Maghreb confidentiel n°914).
Bon j'arrête d'accabler Sidi El Materi, car bien sûr il ne doit ses réussites et ses succès qu'à son génie et sa clairvoyance n'en déplaise aux jaloux de mon espèce qui ne savent que critiquer.
J'arrête et je vous invite à suivre les prochains maraboutages sur DEBATunisie!