Cité du siècle : trop belle pour être vraie…
Mon intérêt pour le projet vient du manque d’information sur le sujet.
Comme tout le monde, j’ai été séduit par les images diffusées un peu partout. J’ai été par contre frustré de n’avoir pas pu trouver par mes recherches une quelconque donnée concrète différente du slogan publicitaire langue de bois diffusé par les médias officiels.
Je suis tombé par hasard sur une interview du canal El Hiwar ( chaine indépendante) enregistré le 24 Septembre 2007 et qui, pour la première fois, présente un « spécialiste », en l’occurrence un avocat, qui nous évoque le texte de la convention du projet signée entre l’Etat tunisien et la société Sama Dubaï.
On peut se poser la question de la légitimité du personnage, mais devant un tel désert de l'information, on est prêt à donner du crédit à la première voix qui se présente à nous, et qui, malgré certaines approximations, semble nous fournir quelques éléments de réflexions.
Je n’ai encore pas saisi comment ce que l’avocat interrogé, a pu se procurer le texte de la convention du projet qui, selon ses dires, est un « texte secret ».
J’invite aussi, ceux qui en savent plus, à nous informer sur la question. Cette affaire mérite beaucoup plus d’attention. Je suis disposé à centraliser sur ce blog tout ce qui concerne la Cité du Siècle.
Dans la suite de l’article, je reprends en abrégé les idées importantes que j’ai retenu de l’interview.
En bleu je note mes propres commentaires.
Je préviens mes lecteurs, que je ne fais que reprendre à ma manière ce que j’ai pu saisir avec toutes les erreurs possibles d’interprétation et de traduction.
L’entretien se passe entre un journaliste en voix off, et l’avocat Abdenaceur Aouini qui s’adresse à la caméra.
Passées les salutations et les expressions de solidarité l’avocat introduit son propos en annonçant la "révélation" de certaines informations concernant le Méga projet.
Première question du journaliste :
Sous quelle forme a eu lieu la transaction entre la société Sama Dubai et l’Etat ? Fut-ce une réponse à Appel d’offre, ou une simple attribution de marché ? (marché de gré à gré)
L’avocat explique que les 837 Hectares furent l’objet de négociations "secrètes" donnant lieu à deux accords aux termes desquels fut signée la convention entre l’Etat tunisien et la société Sama Dubaï filiale immobilière de Dubaï Holding.
L’Etat n’avait lancé aucun appel d’offre, il s’est appuyé sur un texte de loi qui permet de céder au dinar symbolique un terrain lorsque le projet de l’investisseur favorise la création d’emploi.
(Code d’incitation aux investissements :Article 52bis :
Il est mis, au profit des investisseurs des terrains nécessaires à l'implantation des projets importants du point de vue volume d'investissement et création d'emploi, au dinar symbolique. Cet avantage est accordé, après avis de la commission supérieur d'investissement, par décret fixant les conditions d'octroi, de suivi et les modalités de recouvrement.)
L’avocat souligne le fait qu’il ne s’agit donc ni d’une vente, encore mois d’un appel d’offre, mais d’un « don » de l’Etat tunisien à une société de promotion immobilière.
Le journaliste nuance en rappelant que cette convention comporte malgré tout des conditions et que ce projet pour beaucoup de tunisiens se présente comme un levier pour l’économie et l’emploi.
L’avocat répond en citant deux points :
Le premier portant sur la forme de la convention :
Selon lui le texte s’apparente à un contrat entre deux Etats, alors que dans notre cas, il s’agit d’un accord entre une société immobilière et un Etat.
Il prend en exemple l’accord signé entre la Tunisie et l’Espagne concernant l’exportation de ciment. L’Etat des émirats arabes, rappelle-t-il, n’est pas l’interlocuteur de l’Etat Tunisien dans cette affaire, il s’agit bien d’une transaction entre un pays et une société privée.
(Cela n’a rien d’exceptionnel, ça s’appelle le PPP : Partenariat Public Privé)
En second point, il note la partialité des conditions qui, d’après lui, favorisent plus Sama Dubaï et s’interroge sur les motivations de cette allégeance qui amène l’Etat à transgresser certaines de ses lois.
Le journaliste lui demande alors de citer ces transgressions :
L’avocat explique que Sama Dubaï, dans le texte de la convention, est déclarée à la fois comme aménageur ( par l’intermédiaire d’une société côté en bourse) et propriétaire des terrains du projet, à savoir les quelques 837 hectares.
Il fait remarquer que le texte ne précise pas les limites du périmètre et il dénonce ce flou qui suppose une expansion incontrôlée du projet et donc de la propriété.
(Construire une ville n’est pas construire une villa, on peut comprendre que le périmètre soit fluctuant)
Le journaliste se faisant l’avocat du diable rappelle que les privilèges accordés à Sama Dubaï se justifient par l’apport économique dont bénéficiera le pays et la création de 140 000 emplois participant à la lutte contre le chômage des diplômés.
En rappelant l’objectif exclusivement lucratif d’une société de promotion immobilière, l’avocat ne se fait pas d’illusions et s’interroge sur l’absence dans la convention d’objectifs socio-économiques qu’aurait du imposé l’Etat tunisien.
Le texte selon lui, traite des intérêts de Sama Dubaï sans toucher mot des intérêts du pays.
Il déplore par exemple l’absence d’une mention imposant à l’aménageur de se fournir dans le marché local (matière première, manufacturée ..)
Pire encore, il dénonce le droit de la société et de ses entrepreneurs d’importer ou d’exporter sans conditions les matériaux, outils, pièces de rechange, voire de vendre sur le marché local ces même produits.
Il condamne ainsi l’occasion ratée d’introduire dans le marché tunisien une demande propice à l’essor de l’économie nationale et fustige le danger de voir Sama Dubaï concurrencer l’offre locale sachant qu’à tout moment, la société émiratie peut se convertir en un vendeur redoutable noyant le marché et menaçant les petites et moyennes entreprises.
Le journaliste renchérit en affirmant que le projet, non seulement ne profiterait pas à l’économie tunisienne mais qu’en plus, il la menacerait.
L’avocat confirme et prédit un triste avenir.
Il évoque le volet social : La promesse de création de 140 000 emplois, n’est qu’un slogan publicitaire.
Dans le texte de la convention Sama Dubaï et ses partenaires proposent des emplois selon certaines compétences requises. Ils « s’efforceront » de favoriser les tunisiens à condition que ces derniers répondent à ces exigences particulières à savoir la qualification et l’expérience.
Cela revient à dire, que les critères fixés ne concernent pas les chômeurs, mais plutôt une catégorie bien particulière de personnes actives tunisiennes ou pas.
L’avocat précise aussi que ces conditions traitent des cadres et des techniciens mais qu’aucun article dans la convention ne se rapporte à la main d’œuvre laissant ainsi toute latitude à la société et ses partenaires quant à l’emploi de ses ouvriers.
Il ne faudra donc pas s’étonner selon lui, que dans la logique du marché, l’on puisse voir débarquer des milliers d’ouvriers indiens ou africains acceptant de travailler à la moitié du salaire minimum tunisien.
(bientôt un ghetto indien à Djebel Jeloud ou Hai Chaker ?)
Le journaliste demande si Sama Dubaï, qui n’est pas à sa première opération, a pu bénéficier ailleurs de tant de privilèges.
L’avocat cite en exemple l’appel d’offre émis par la municipalité d’Istanbul que vient de remporter Sama Dubaï ( juste avant la signature de la convention avec la Tunisie) Il s’agit d’un terrain plus modeste (46 hectares) et qui a fait l’objet d’un appel d’offre international exigeant aux postulants de répondre à certaines conditions fixées par la municipalité tel qu’un cahier des charges urbains ou encore la vente des lots en priorité aux citoyens turcs.
Sama Dubaï a répondu aux conditions et a du seulement renchérir sur l’offre de ses concurrents turcs pour gagner le marché et cela en toute transparence.
Ainsi, résume le journaliste, l’ Etat Turc ( c’est moi qui souligne )a su faire valoir les intérêts de son peuple même dans le cadre d’une spéculation immobilière
L’avocat corrige à juste titre qu’il ne s’agit pas de l’« Etat turc », mais de la municipalité d’Istanbul et rappelle par analogie que le terrain du projet de la Cité du siècle, le lac sud, fait partie du territoire municipale de la ville de Tunis, et que l’Etat par cette opération empiète sur les prérogatives de ses collectivités locales.
(Dans la mesure où le projet est considéré comme étant d’intérêt public, l’on peut justifier l’entremise de l’Etat. La question étant de savoir si ce projet est vraiment d’intérêt public)
Le journaliste demande si par l’aliénation du lac sud à Sama Dubaï, la Tunisie ne s'aliénerait-elle pas de sa souveraineté.
L’avocat répond qu’effectivement, le peuple s’est vu retirer à son insu une partie de ses terres, privant par la même, les générations avenirs de profiter de leur patrimoine naturel un peu comme si l’on avait cédé Oued Medjerda, Djebel Boukornine ou Shott el Djerid à des étrangers.
( On a bien fait partir la France lorsqu’elle nous a colonisé l’ensemble du pays, j’espère qu’on pourra chasser quelques enturbannés s’ils nous colonisent le lac sud…)
Et pourtant ça a été voté par le parlement, s’étonne le journaliste.
L’avocat se lance alors dans une démonstration juridique montrant textes à l’appuie comment ce que les parlementaires contredisent leurs propres lois en acceptant la convention.
Il cite l’article 26 de la législation des changes et du commerce extérieur. ( je n’ai malheureusement pas su saisir le point de contradiction )
Ensuite il cite l’article 25 du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme au chapitre 4 ‘Des règlements relatifs au littoral et aux voiries structurantes’ :
«[…] il est interdit de construire à une distance fixée en fonction des particularités de chaque zone sans qu'elle soit, en aucun cas, inférieure à vingt cinq mètres à partir des limites du domaine public maritime et des limites des composantes du domaine public hydraulique prévues à l'alinéa premier du présent article[…] »
L’avocat précise qu’à part quelques exceptions liées à la sécurité et aux infrastructures portuaires, l’application de la loi signifierait l’interdiction de s’approcher de moins de 25 mètres du bord du lac.
Et pourtant, attise-t-il, non seulement il dépasse les 25 mètres, mais l’aménageur est autorisé à « remblayer », c'est-à-dire gagner de la surface sur l’eau, chaque mètre carré gagné lui étant cédé au dinar symbolique.
Cet exemple pour lui, illustre l’attitude méprisante que l’exécutif porte sur le législatif l’amenant à agréer une convention qui contredit les lois qu’il a promulgué.
( Cependant , je m’étonne que notre avocat, malgré son soucis des textes, n’a pas été jusqu’au bout de l’article où est écrit : « […]Cette distance peut également être réduite par rapport aux lacs et sebkhas dont les bords sont aménagés ainsi que par rapport aux petits cours d'eau traversant les zones urbaines, et ce, par décret sur proposition du ministre chargé de l'urbanisme, après avis du ministre chargé de l'intérieur et le ministre chargé de l'agriculture[…] ». Nous avons tous en tête l’exemple du lac nord, projet porté par le Cheikh saoudien Salah Kamel qui constitue à moindre échelle le même cas de figure)
Le journaliste s’interroge sur la clause de confidentialité qui concerne la convention.
L’avocat évoque que la convention invite les deux parties à la « discrétion » concernant la transaction, et qu’elles doivent s’engager à ne divulguer aucune information sur la comptabilité, les ressources humaines, le savoir-faire, le « secret de fabrique» et la convention elle même!
L’existence même de la convention, explique-t-il, ne devra donc pas être communiquée au grand public sous aucune condition ! …. L’avocat s’interroge sérieusement sur l’insistance que porte la convention sur la confidentialité, à croire que l’Etat s’engage dans un projet de fabrication d’une sonde spatiale.
(Si ses dires sont vrais, Je dirai même plus, que Sama Dubaï doit être le subterfuge d’un projet d’enrichissement d’uranium financé par les russes, si ce n’est une base pour OVNI)
Tout cela, conclut-t-il, nous mène à douter du bien-fondé de la prétendue Cité du siècle et de rester prudents et avertis quant à la suite des évènements.
Le journaliste se demande alors comment ce qu’aucune voix critique n’a pu se faire entendre devant un tel scandale.
Sans cadre démocratique, il n’a y pas de possibilité de contestation répond-t-il.
Il explique par ailleurs, qu’un des préalables à la démocratie avant même les libertés, c’est le cadre national et territorial. Selon notre avocat, la spoliation d’une partie de ses terres est une atteinte très grave et une prise en otage de l’avenir du pays.
Il assimile cette affaire à un nouveau type de colonisation non armée qui opère par une stratégie capitaliste sur des peuples incapables de veiller sur leur souveraineté.
Et pour conclure, l’avocat exhorte tout tunisien, démocrate, jaloux de son pays et de l’avenir de ses enfants, de s’opposer au projet et au gouvernement qui autorise ce type de transaction illicite.
Remerciements du journaliste
Fin de l’interview.
Sources :
http://www.youtube.com/watch?v=fQi8PiQSa6A : l’adresse de la vidéo de l’interview
http://astrubal.nawaat.org/2007/09/23/le-projet-sama-dubai-encore-un-scandale/: blog d'astrubal
http://jurisitetunisie.com/ : site juridique tunisien par lequel j’ai vérifié les textes cités par l’avocat
http://www.sama-dubai.com/: site officiel de Sama Dubaï
Annexe:
La version officielle du projet telle que présentée par la Presse tunsienne le 06/08/07 :
« Sama Dubaï, société immobilière de Dubaï Holding investira l'équivalent de 18 milliards de dinars dans la construction, sur les berges du lac de Tunis, d'une nouvelle cité, couvrant une superficie de 830 hectares, destinée à réconcilier la capitale avec sa façade maritime, notamment par la création d'un port de plaisance, et à en faire un centre international d'affaires, de services et de loisirs.
Concrétisant la vision du président Zine El Abidine Ben Ali pour la Tunisie de demain, ce méga-projet, par son importance et ses impacts économiques et sociaux, constitue un levier de taille pour l'économie nationale.
Ainsi, l'investissement de Sama Dubaï génèrera un flux moyen de 1200 millions de dinars par an sur 15 ans, soit plus que la moyenne de 940 millions de dinars par an, entre 2002 et 2005, en investissements étrangers.
Selon les études, il réalisera un taux de croissance de 12 pc en moyenne par an, pendant les 15 ans que dureront les travaux, soit 0,6 point additionnel pour le taux de croissance annuel moyen. Il génèrera également 130 mille emplois additionnels durant les travaux.
Notons à ce propos que les autorités tunisiennes ont spécialement veillé, dans la convention d'investissement, à ce que la main d'œuvre soit tunisienne, en mettant en place un programme de formation spécifique qui anticipe la demande en experts et vise à réduire au maximum le recours à l'expertise étrangère.
Par ailleurs, les travaux engagés dans le cadre de ce projet auront un impact sur l'ensemble des secteurs économiques, avec un accroissement de plus de 50 pc des mètres carrés construits chaque année.
Ces travaux stimuleront aussi la demande en matériaux de construction et partant toutes les activités fournissant des matériaux au secteur du bâtiment. A titre d'exemple, pour répondre à la demande du projet, deux cimenteries sont en cours de construction par le secteur privé. Le secteur des équipements et fournitures (ascenseurs, meubles, etc.) connaitra aussi une dynamique notable.
Une fois achevé, le méga-projet des berges du lac sud de Tunis, se traduira par l'apparition d'une ville nouvelle de 300 à 500 mille habitants. L'objectif des promoteurs et des autorités étant de faire de cette cité un centre international d'affaires, de services et de loisirs. »