Université machine à employabilité ?
Une loi qui réforme l’Université vient
d’être examinée aujourd’hui par la chambre des conseillers.
Un journaliste de la presse nous la commente de
la manière la plus complaisante, alors que le texte selon Le Temps fait
polémique chez les syndicats.
Il s’agit de la loi d’orientation
universitaire.
Déjà l’on peut remarquer qu’une
loi assez similaire dans le contenu a
été adoptée en France récemment, et que celle-ci fut l’objet de grandes controverses.
Soit… ce n’est peut être que le hasard
des calendriers.
Passons.
Le texte tunisien dit vouloir, je
cite: « promouvoir le rendement du système de l’enseignement
supérieur »
Remarquons d’entrée de jeu
l’usage d’un vocable économiste dans le terrain neutre et désintéressé de
l’Université.
« Ce projet vise également à instaurer
un mécanisme cohérent d’évaluation du contenu de la formation ». Le terme « évaluation » qui est aussi une
apparition nouvelle dans le jargon politique français de l’époque Villepin est donc
repris aujourd’hui par nos technocrates pour « évaluer » les filières
en fonction de leur rendement.
Il est même question de « consécration du principe de l’évaluation » pour répondre
disent-ils « aux exigences du
marché de l’emploi et aux besoins de l’entreprise économique tunisienne ».
Seront donc bien notées, sous-entendues
épargnées, les formations qui assurent un
emploi aux diplômés à leur sortie de la fac.
Je ne vous laisse pas deviner le sort des autres filières
dont le but n’a jamais été de se positionner dans le marché du travail. La
philosophie, les lettres, la géographie ou l’histoire déjà maintenue sous tente
à oxygène risquent de se voir couper l’air si l’on « met l’accent sur les filières et les spécialités à forte employabilité ».
EMPLOYABILITE
Ce mot à la mode qu’aiment employer nos administrateurs, est
devenu un leitmotiv pour justifier le bien-fondé de n’importe quelle mesure.
J’arrête tous ceux qui m’attendent au tournant de cet
article pour me dire, que OUI ! bien sûr, les jeunes souffrent du chômage
et qu’il faut saluer une politique qui mise sur l’emploi.
C’est la politique de l’emploi qu’il faut réviser :
Par exemple, on n’a
jamais posé le problème à l’envers : si ce sont les grands centres urbains
qui concentrent le chômage, c’est peut être parce qu’il y a trop de demandeurs
d’emploi, alors que ces derniers pourraient grâce à une politique volontariste
regagner certaines régions sinistrées qui, elles, souffrent du problème
inverse : la désaffection des jeunes diplômés.
Ainsi résoudre le problème du chômage reviendrait à
encourager l’investissement public et privé dans l’arrière pays et donc
redistribuer les richesses !
Entre-temps, notre gouvernement continue à surinvestir dans
les métropoles par des mégaprojets promettant l’emploi comme argument.
Doutant peut être de la capacité de ces investisseurs
étrangers à recourir aux diplômés tunisiens, l’Etat signe un texte qui
transforme l’université en machine à produire de l’emploi.
Ainsi pour sa nième compagne électorale, le président
sortant pourra montrer qu’il aura tout fait pour lutter contre cette maladie
nationale qui est le chômage.
Mégaprojet +
réformes universitaires = employabilité
D’abord, il est à craindre que les mégaprojets ne soient un
leurre qui, par l’effet d’annonce crée un exode de diplômés et d’ouvriers vers
la capitale et que la moitié s’y trouvant refusée multiplie par 3 le taux de
chômage.
Ensuite, il est dangereux de subordonner l’université à
l’emploi, car dés lors plus rien ne leur interdit de faire disparaître des
filières qui ne « répondent pas aux exigences du marché de l’emploi »,
telles les filières littéraires par exemple, seules capables de réveiller
l’esprit critique et de porter un regard autre que celui de l’économe.
On est même tenté de
croire que cette réforme tend à domestiquer la jeunesse, lui faire éviter les
détours de la pensée, pour la façonner au monde du travail. Une jeunesse
abrutie et obéissante qui n’aura pour seule revendication que le droit de
consommer.
L’équation MP + RU =
E risque donc, non seulement de faire le contraire de son objectif,
c'est-à-dire concentrer encore plus le chômage dans les grands villes, mais
pire encore, faire des chômeurs idiots, qui ignorent par exemple qu’Abou Nawas n’est
pas le nom d’un Hôtel mais d’un poète, ou que le Colisée c’est autre chose
qu’un centre commercial. ( Vous me direz, en quoi ce que ceci les aiderait à
trouver du boulot ? en rien, la
connaissance comme la générosité restent des catégories que l’employabilité ignore,
mais que notre humanité implore)
Ainsi, OUI pour une réforme de l’université, mais pitié ! ne faites pas ça pour l’employabilité, mais pour le Savoir, l’Art, la Pensée, la Critique, la Liberté, pour croire qu’il nous est possible depuis la Tunisie de refaire le Monde et l'Humanité!
sources:
Article La Presse du 16 Février 2008:
Article Le Temps du 16 Février 2008:
"La loi de l'orientation universitaire prochainement devant la chambre
des conseillers
Le syndicat pour un profond réexamen
Suite à l'adoption par la chambre des députés le 6 février 2007 du projet
de la loi d'orientation universitaire. la Fédération générale de l'Enseignement Supérieur et de la
Recherche Scientifique La FGESRS rappelle aussi que l'élaboration du dit
projet n'a pas fait l'objet d'une consultation des différentes parties
concernées. Mais la fédération a étudié tous les articles du projet et a avancé
des propositions qui n'ont pas été prises en compte elle espère que les membres
de la chambre des conseillers qui vont examiner prochainement ce projet en
tiennent compte." (FGESRS) a publié le
13 février un communiqué dans lequel elle rappelle les réserves sur certaines
dispositions de ce projet de la part des structures syndicales et même de
quelques membres du conseil économique et social (CES).
Des réserves qui n'ont pas été prises en compte par les commissions
parlementaires qui n'ont introduit que quelques amendements sur le projet. Mais
des amendements qui n'ont pas touché les questions de fond de ce projet.