Soutien à Gaza confisqué
Depuis l'offensive sauvage contre Gaza, beaucoup de tunisiens se sont indignés contre cette attaque et chacun y va de ses pleurs ou de sa haine pour condamner Israël et l'Occident complice. Je ne pense pas poser ma candidature au concours d'indignation nationale même si je partage pleinement ce sentiment de dégout et d'injustice. Je voudrai plutôt focaliser mon post sur la couverture de l'évènement par la propagande tunisienne pour montrer qu'une indignation d'un autre type se doit aussi d'émerger.
La récupération de l'indignation
Depuis l'annonce des frappes, La Presse tunisienne y va crescendo dans sa solidarité envers nos "frères palestiniens" usant de tout son arsenal de belles plumes qu'on lui connait. Le talentueux Mouldi M'Barek, qui sait nous donner la chaire de poule, nous dit tout ému qu'il est:"le Président Ben Ali est dans le cœur de toutes les familles palestiniennes et de tout Palestinien qui connaît la chère Tunisie, son histoire et son illustre dirigeant".(ici) Mouldi M'barek nous explique ici de manière métaphorique que le rayonnement ultra-mauve de notre illustre dirigeant arrive jusqu'à Gaza et protège les familles palestiniennes des bombardements israéliens.
Moins métaphysique, le comique deuxième catégorie N.Hlaoui nous décrit ici toutes les mesures de solidarité entreprises en faveur des sinistrés. Il nous évoque l'avion chargé de vivres et de médicaments, la journée de don de sang et l'ouverture d'un compte postal pour la collecte de dons...tant de généreuses actions dont l'initiative revient d'abord au ...Président. Le soutien de celui-ci à la cause palestinienne, nous dit le journaliste, ne date pas d'hier. Notre chef de l'Etat est tellement adoré dans ces contrées que le syndicat des journalistes palestiniens l'avait élu personnalité de l'année 2006... Si des laudateurs du type Mouldi M'Barek sévissent aussi en terre sainte alors le drame palestinien est bien plus profond qu'on ne le pensait.
Dans un style plus mécanique, La Presse nous rapporte des communiqués ici et là émanant de différents organismes ( UMA, UTICA, ordre des pharmaciens ...):
Tous bien-entendu condamnent Israël mais concluent exactement par la même formule:" les membres du ... saluent, par ailleurs, les mesures de solidarité initiées par le Chef de l’Etat pour alléger les souffrances du peuple palestinien, exprimant leur disposition à participer à l’initiative présidentielle" vous pouvez vérifier par vous même ici, ici ou encore ici.
Par cette rengaine où chaque protagoniste salue le président pour son soutien à la cause, Gaza ne semble plus être l'objectif de la mobilisation, mais bien un instrument utilisé pour redorer l'image du régime.
La confiscation de l'indignation
Si la récupération politique reste supportable lorsqu'elle débouche sur des aides humanitaires telles que celles citées précédemment, elle devient scandaleuse lorsqu'elle s'accapare complètement de la cause et qu'elle prive la société civile de se mobiliser en toute indépendance. Ce fut le cas le 1er janvier où l'État avait autorisé une manifestation pour Gaza. Mais voilà que les cravatés du parti prennent le devant de la marche et qui, lorsque décident de mettre fin à leur mascarade, envoient les forces de l'ordre disperser la foule en priant les citoyens de rentrer chez eux. Les amis d'Attariq (ici), Tunisia Watch (ici) et d'autres blogs encore nous rapportent les faits. La Presse quant à elle nous informe que la société civile était représentée dans son ensemble en concluant avec la sempiternelle formule: "Les participants à la marche de solidarité ont salué le soutien total apporté par le Président Zine El Abidine Ben Ali au peuple palestinien et à sa juste cause" (ici)
En d'autres termes, il s'agissait d'une marche de soutien non pas à Gaza, mais à notre "illustre dirigeant". Cette attitude montre combien ce que l'Etat méprise la masse et tente de canaliser ses moindre pulsions en sa faveur.
Pour une indignation plus constructive
Israël agit en toute impunité parce qu'elle sait que l'Europe est très mal placée pour lui donner des leçons. La culpabilité de la seconde guerre mondiale pèse encore lourd sur les consciences des dirigeants européens laissant ainsi a Israël tout latitude d'agir. La chancelière allemande a d'ailleurs soutenu officiellement Israël. Les américains quant à eux appuient délibérément la violence de l'État hébreux car ils y voient une base avancée de leur impérialisme.
Mais aussi, Israël agit en toute impunité parce qu'elle méprise le peuple Palestinien. Elle le considère comme barbare. Elle le juge par ses dirigeants qu'elle qualifie d'obscurantistes -le Hamas- ou de corrompus -Le Fatah (qui effectivement s'est fait corrompre par Israël). Israël méprise de la même manière l'ensemble du monde arabe. Elle utilise les poncifs des anciens colonisateurs européens qui ne voient dans les orientaux que les sujets de pouvoirs despotiques. Elle n'a donc que faire des indignations de nos Ben Ali, Moubarak et compagnie.
Autant nous pouvons nous indigner de toutes les premières raisons que j'ai énuméré, autant l'on doit, sur le dernier point, nous indigner aussi contre nos dirigeants qui décrédibilisent la position arabe, qui font de la Palestine une proie facile et qui confirment malheureusement le cliché du despotisme oriental.
Par l'exemple de la récupération du régime de notre indignation et par de nombreuses autres illustrations de confiscation du débat (que je ne cesse de rapporter sur ce blog), je ne fais que confirmer ce que nous tous savons, mais oublions chaque fois que surgit Israël: Dénoncer nos régimes qui ignorent la liberté d'expression, le multipartisme et l'alternance politique!
Même dans d'aussi malheureuses circonstances où l'on constate l'impunité de l'ennemi extérieur, je suis convaincu que nous serions plus constructifs si nous ciblons aussi nos critiques envers notre ennemi intérieur.
N'oublions pas que de toute façon, notre seule action citoyenne possible reste confinée dans les limites de ce que l'on appelle Tunisie. Nous n'avons aucune possibilité d'agir sur ce que l'on appelle "monde Arabe" (si tant est que ce monde existe) tant que notre parole reste confisquée par le régime. Cessons donc de nous lamenter sur le sort des arabes et agissons d'une manière conséquentes d'abord sur notre parcelle.
J'ai envie d'être cynique et de proposer même que l'on récupère à notre tour Gaza comme le fait le régime, pour dénoncer cette chape de "plomb durci" qui pèse sur nous aussi!