Barcamp et Nessma, ou de la mauvièvrie
Il est formidable de constater aujourd'hui, que notre gentil régime n'a plus besoin de ses propagandistes mauves pour défendre sa politique. Il peut compter désormais sur des jeunes très brillants, plus efficaces que les poussiéreux du RCD, pour participer à l'illusion démocratique.
Ainsi, alors que les blogs tunisiens viennent de subir le pire des Tsunamis de la censure, voilà que l'organisateur du Barcamp tunisien (une sorte de réunion branchée de geeks) ose ceci sur Nessma TV:" les blogueurs étaient actifs, malheureusement facebook a tué les blogueurs" et de rajouter:" la blogosphère s'est développée dans les autres pays parce qu'il y avait de l'argent". Je vous épargne le reste des déclarations qui nous dépeignent un internet tunisien branché cool sympathique où tout est beau et gentil. Le monde de Oui-Oui a enfin trouvé sa terre d'élection dans le cyber espace tunisien. Ok, je comprends que la crainte du bâton mauve empêche d'évoquer la censure menée par le régime. Mais alors pourquoi accepter l'invitation d'une telle émission si c'est pour sortir de telles âneries ?
Avec son diagnostique de la blogosphère, je crains pour la carrière de ce garçon le jour où tombera la dictature.
Mea Culpa
OK, c'est facile de me poser en donneur de leçon, moi le masqué anonyme qui se cache dans une grotte inconnue. Je suis d'autant plus mal placé que j'ai malgré moi participé aussi à la mascarade. Il m'est arrivé pour un concours de peinture officielle de faire un portrait glorificateur de notre bien aimé président (mon tableau est peut-être à Carthage et il est signé de mon vrai nom). Qui sait peut-être aurais-je pu passer sur Canal 7 ou Canal 21 pour évoquer mes talents d'artiste mauve. En tout cas après avoir vu cette dernière émission de Nessma TV je suis bien content de m'être résolument rangé du côté des anonymes, des lâches, des masqués, des cachés ou même des traitres.
Pour aborder les tabous, Nessma prétend être au rendez-vous
Les émissions telles que Ness Nessma abordent effectivement certains sujets tabous. On peut leur reconnaitre une part d'audace dans un paysage médiatique tunisien aussi verrouillé. On peut aussi saluer leur ouverture aux jeunes artistes maghrébins. Cependant Nessma TV se trahit en devenant le théâtre idéal de l'illusion démocratique. Sous couvert de modernité, de "décalé" elle prétend souffler une brise ("Nessma" en arabe) de liberté. La dernière émission que j'ai citée illustre les limites de cette prétention. Pire encore elle enfonce le clou:
Sans revenir encore sur les déclarations de notre brillant informaticien, Nessma croit se rattraper en invitant "3am Salah". Pour ceux qui n'ont pas suivi l'actualité blogosphérique, Salah, (reprenant une expression tunisienne) est devenu le symbole du censuré. Grâce à la campagne, "lâche Salah", ce prénom s'est imposé comme un signe de ralliement contre la censure. Nessma pense faire une allusion au tabou de la censure en invitant ce 3am Salah. Mais qui nous a-t-elle ramenée?: un vieux monsieur sorti de nulle part, en habit traditionnel et aux rides creusées par des années de dur labeur. Ébloui par les projecteurs, l'invité est tourné en bourrique et prié de faire le clown. Par ce Salah qu'elle exhibe comme une bête de cirque, on ne sait plus si Nessma cherche vraiment à critiquer la censure ou au contraire à ridiculiser les censurés. J'ai lu en tout cas dans cette scène l'arrogance d'une bourgeoisie qui par sa frustration et son auto-censure se défoule sur un pauvre paysan sorti de l'arrière pays.
Conclusion
Ah pardon, J'ai oublié de rappeler que Nessma milite pour des nobles causes tel que l'illustre son soutien au prisonnier palestinien Marouane Barghouti. A chaque émission elle nous recompte ses jours de détention sous les tonnerres d'applaudissement d'un public lui aussi mené en bourrique... Encore une fois, Israël n'a jamais autant servi la bonne conscience de ceux qui ont déplacé leur engagement citoyen ailleurs que chez eux...
Sur ce mes amis, bonne fin de week-end et à la prochaine...