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DEBATunisie
22 juillet 2010

L'urbanisme du bling-bling (certifié éco-mauve)

gateaunisie

Petit Rappel

Vous vous rappelez mes amis de l'euphorie des mégaprojets. La presse officielle nous présentait le pays comme le prochain Eldorado. Les milliards des émiratis conjugués à la vision avant-gardiste de notre gentil président nous promettaient un paradis de bling-bling, lofts, yacht, golfs et centres de loisirs. Tous ces investissements étaient bien entendu destinés à la résorption du chômage des jeunes et à la protection de l'environnement. Malheureusement la crise avait brutalement sonné la fin du bal renvoyant chez eux nos généreux milliardaires*. La propagande qui n'aime pas les mauvaises nouvelles ne nous a plus reparlé des milliers d'emplois promis et la vision avant-gardiste de notre président s'en est prise un sacré coup sur la tête.

A l'époque je dénonçais ces mégaprojets pour leur gigantisme, leur discrimination sociale (villes destinées aux riches) et leur totale ignorance du contexte urbain. J'y voyais l'inauguration d'une ère nouvelle où domine le modèle de la privatisation de l'espace public et la construction de murailles entre riches et pauvres. Cette dubaïsation de la Tunisie m'effrayait et j'en étais presque à me réjouir des effets de la crise.

Si la plupart de ces chantiers pharaoniques ne verront pas le jour, il semblerait que la philosophie bling-bling yacht-yacht  continue à guider la vision de la ville de demain. En effet, les quelques nouveaux projets qui s'annoncent affichent exactement la même rhétorique même si leur échelle est plus réduite (on ne construit plus sur des centaines mais sur des dizaines de hectares). A chaque fois l'alibi écologique et la lutte contre le chômage justifient le bradage du patrimoine public voire l'expropriation (le cas de La Goulette) et ce au profit d'opérations immobilières privées de haut standing.
Les intérêts particuliers des riches, des marabouts et de tous les proches du pouvoir ne cesseront de passer au dessus de l'intérêt général sauf que cette fois, grâce au discours hérité des mégaprojets, ils seront excusés par l'emballage écologique et le filtre anti-chômage.

"Kélibia la blanche"

Il s'agit d'une opération immobilière tuniso-italienne menée à Kélibia et qui s'étend sur 50 hectares. Le projet comporte des hôtels de luxe et des villas haut-standing bordant la plage de la Mansourah le tout agrémenté d'un port de plaisance et de clubs sportifs. La promotrice du projet, Zeineb Rayana**, interrogée par le quotidien le Temps, jure que "la stratégie du groupe est axée sur la sauvegarde de l'environnement, l'utilisation des nouvelles technologies et de l'éco-environnement, la sauvegarde du site, de la faune et de la flore, du minéral et végétal, de l'harmonie et du style architectural de la station et de l'utilisation des énergies nouvelles non polluantes..." et de finir par "Notre vocation est d'agir avec gratitude envers la nature pour sauvegarder le littoral d'El Mansourah" (l'intégralité de l'interview ici). Sa gratitude malheureusement s'arrête au littoral et zappe tous les kélibiens qui pourtant lui ont fait don de leur plage. Comme le précise sa plaquette de vente, son projet s'adresse d'abord "aux clients  avertis appréciant la véritable qualité" s'entend les millionnaires capables de dépenser une fortune (entre 400 000 et 650 000 euros) pour des villas jouissant de la proximité d'un port de plaisance, d'un golf et d'une plage privée. Cette bonne dame avec sa bonne conscience écologique fait un bras d'honneur à tous ceux qui depuis des générations ont aimé, animé, et fait vivre cette plage emblématique de la ville de Kélibia.

 

KELIBIA

Une pétition a été lancée contre la privatisation de la plage de la Mansourah. Sans vouloir être pessimiste, il y a lieu de douter de l'issue favorable d'une telle initiative sachant que le principal destinataire de la pétition, le ministre de l'environnement, aurait présidé l'année dernière une sauterie avec la femme d'affaire pour célébrer entre "amis" ce grand projet écologique (voir ici). Un cas parmi tant d'autres où l'État est carrément complice de la prédation immobilière. Autant rebaptiser le projet "Kélibia la mauve" pour que tous les citoyens qui militent contre cette privatisation ravalent leur lutte pour ne pas attirer la colère du régime.

Mégaprojet à Tozeur

Il y a deux ans, en pleine tourmente des émeutes du bassin minier, Tozeur s'apprêtait à s'ouvrir au tourisme spatial (voir ici).
On voyait grand à l'époque et la colère des manifestants de Redeyef n'y faisait rien. Il a fallu que la crise souffle son vent pour que l'on redescende sur terre. Nous voilà en 2010 et l'État tunisien récidive en ce début de mois de juillet, par un mini mégaprojet "touristico-immobilier" qui s'étend sur 60 hectares. Initié par un promoteur qatari, ce projet comporte plusieurs composantes: villas résidentielles de luxe, hôtel haut standing, cafés, centres commerciaux... Encore une fois, ce sont les investisseurs étrangers qui "initient" les projets et l'État qui récupère leurs initiatives pour bien sûr faire de l'écologie ou alors pour employer les jeunes qui se tournent les pousses. (A se demander si ce n'est pas l'État qui se tourne les pousse en attentant à chaque fois la grâce de généreux milliardaires)
Selon le journal en ligne businessnews qui a interrogé les députés sur le montant des investissements, ils n'en savent fichtre rien et le ministre chargé de l'affaire n'a pas voulu leur en dire plus (quelle transparence!). Il a juste reconnu que cette fois l'investisseur sera privé des avantages accordés par l'État. Le ministre voulait surement dire que le régime cessera de faire des courbettes aux émirs. Mais il ne nous dira pas si le régime se privera des "petits" avantages accordés par l'investisseur.

Conclusion

Mes amis, ne pensez pas que je m'oppose systématiquement au luxe ou aux milliardaires étrangers qui convoitent le pays. Je pense seulement que lorsque des promoteurs privatisent des bouts de ville et qu'ils érigent des murs ils donnent à leurs projets une odeur nauséabonde. Leurs filtres écolos ne pourront rien contre cette odeur. Plus nauséabonde encore cette odeur lorsque ces investisseurs travaillent main dans la main avec notre gentil régime pour bricoler des lois, exproprier, privatiser des plages et promouvoir ces clubs de riches comme des solutions contre le chômage et contre le réchauffement de la planète. Plus nauséabonde encore lorsque l'on sait que notre régime interdit toute critique contre ces projets...
Dans un pays où il n'existe aucun contre-pouvoir et où il est devenu naturel d'incarcérer des journalistes, chaque projet de grande envergure est souillé par un péché originel: celui de profiter du silence forcé des citoyens.

* Lu dans  Maghreb confidentiel:
Le mégaprojet de 25 milliards $ de  à Tunis, Portes de la Méditerranée, est "au point mort", d'après une source proche du dossier. La société peine à trouver des investisseurs. Et les autres projets pharaoniques, annoncés à grand renfort d'images de synthèse, ne sont guère plus avancés. Marina Al Qoussour, à Hergla, est aussi en panne sèche. Selon une autre source aux Emirats, son promoteur, affrontant d'immenses difficultés à Dubaï, a rétrogradé le projet au rang de "faible priorité". Chez Comète engineering, le bureau d'études choisi par le bahreïni Gulf Financial House (GFH) pour plancher sur le Port financier de Tunis, on assure que ce chantier - d'un montant de 4 milliards $ - n'est pas menacé. Les travaux débuteront au "1er semestre 2009", sauf que le Master Plann'a pas encore obtenu le feu vert des autorités. L'effondrement en Bourse de GFH (- 80% en un an) n'augure rien de bon pour ce projet ni pour celui de Tunis Telecom City, partenariat entre GFH, affirme que la première tranche de Tunis Sports City sera achevée dans trois ans.

** Zeineb RAYANA: Je n'ai pas trouvé plus d'informations sur cette maraboute à part ce petit article paru en 1995 dans le Corriere della Serra que nos amis italophones pourront peut-être nous traduire...

Commentaires
T
en résumé, supprime la corruption et la purriture et les beaux projets reviendront.
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T
Nul besoin de me rassurer, je ne suis pas inquiet :)<br /> « …mais nous avons réussi dans nos villes à créer un espace public partagé. »<br /> Tu reproches au régime d’être dans l’utopie, mais force est de constater que les Tunisiens finissent par croire les chansons qu’on leur raconte.<br /> C’est l’éducation qui fait tous :<br /> Parce que dans le fond on a un bon fond, on a mis en place des programmes d’aide au logement et d’accès à la propriété. Parce que l’on n’est pas très à cheval sur les principes on se laisse aller à de petites compromissions qui compromissions après compromissions nous transforme en société pourrit (la corruption détruits des civilisations).<br /> Au début où la densité des constructions ne prêt pas à la spéculation, l’espace était partagé. Petit à petit il se privatise, par concessions successives.<br /> Petit à petit, celui qui a un pouvoir pour contrôler l’intérêt général se compromet pour un gain personnel, plus le gain potentiel d’une spéculation est important, plus tu auras statistiquement. <br /> Ici vous allez avoir un ministre qui a son frère qui construit un hôtel, là vous avez un avocat qui va vous dire qu’il a trois maisons dans un nouveau lotissement de programme social, ect …<br /> Maintenant si tu retires les spéculateurs et la pourriture, comme celle qui va déclasser notre patrimoine au parc de Carthage pour en faire de vulgaires bicoques en brique creuse, tu vas te rentre compte que le tableau n’est toujours pas aussi rose :<br /> Prenons que le cas des tunisiens ordinaires, non impliqués dans l’affairisme de poubelles.<br /> A l’origine ces tunisiens sont devenus propriétaires de milliers d’hectares pour permettre à la Tunisie de produire la nourriture qu’elle consomme.<br /> Certains ont en fait une vrai vocation, par contre, sont nombreux ceux qui n’ont font rien. Une grande partie de vieux se sont transformé en mini-bourgeois qui louent leurs terres à des va-nu-pieds.<br /> Qu’ils soient aujourd’hui à l’étranger ou en tunisie, ils ne font plus rien, ils spéculent avec ceux qui leur montrent l’exemple. Lorsqu’ils ne sont pas expropriés au détriment d’une crapule, ils ne lâchent pas leur morceau de terre à moins chère que le plus haut de la vague spéculative leur permet de le faire.<br /> Tant pis pour le progrès social, la génération qui a hérité de l’indépendance veut vivre confortablement sa retraite, quitte à ce que ça soit au détriment des nouvelles générations surendettées et quitte à ce que ça soit contre le progrès social.<br /> Aujourd’hui si on tunisie on ne peut faire que des projets spéculatifs c’est parce qu’aujourd’hui les tunisiens propriétaires veulent la timbale.<br /> Comment veux-tu faire du social avec une société où chacun des acteurs est prêt à monter sur son voisin pour sortir le premier le nez de m. ?<br /> Aujourd’hui tu vas même que le trou de la tunisie pour faire un projet, tu te confronteras et à un spéculateur en culotte courte et à des intermédiaires pourrit qui voudront que tu passe par eux pour arriver au bout de ton projet.<br /> Ceci a pour effet de tuer dans l’œuf tous les projets qui viendraient de gents sans pouvoir politique et ne laisse place qu’à des projets poussés pour les plus puissants des corrompus.
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_
"Le fait que l'objectif d'un projet soit une clientèle fortunée ou le fait que les investisseurs soient étrangers, ne peuvent pas être des arguments que l’on peut retenir."<br /> Bien sûr, tout à fait d'accord avec toi. Je ne suis pas xénophobe je te rassure, et je ne voue pas de haine contre les fortunés. Ce ne sont pas les arguments que j'ai utilisés pour critiquer ces projets.<br /> Ma critique est plus générale et avant d'évoquer la corruption, elle porte d'abord sur la philosophie ségrégationniste de ce type d'opérations. <br /> Que l'on construise un immeuble, ou un petit lotissement pour fortunés, ou pour pauvres ok. Mais que l'on construise un quartier entier, (voir une ville)enclavé, fermé, où l'on privatise les rues, la plage, là je trouve que l'on touche à sacralité de l'espace public dont la mixité sociale demeure la composante essentielle. En Tunisie paradoxalement, nous manquons certes de démocratie mais nous avons réussi dans nos villes à créer un espace public partagé. La vivacité de nos cafés, de nos promenades ( je parle des grandes villes) témoignent de l'existence d'une certaine urbanité à la tunisienne qu'il faudrait préserver. Il suffirait que le machisme ambiant se résorbe, que les esprits coincés foutent la paix aux femmes, que les municipalités jouissent de plus de moyens, pour que nos villes deviennent encore plus attractives et joyeuses.<br /> <br /> La banalisation de la philosophie des enclaves résidentielles (incarnées par les mégaprojets), sont en réalité plus en adéquation avec la benalisation de la ville. Séparer, diviser, éloigner, isoler, et donc contrôler et fliquer!<br /> <br /> Quand on rajoute à cela une bonne dose de corruption et de propagande, la coupe en devient pleine.
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T
Autre chose, prépare toi d’ici le début de l’année prochaine, à nous faire une caricature sur le projet que va réaliser Tun-68 <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> En dehors de la tunisie :)))
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T
bijour z,<br /> <br /> Si tu veux l'avis de tun-68, qui à tes coté a également écrit sur les méga projets, je dirais que....<br /> Le fait que l'objectif d'un projet soit une clientèle fortunée ou le fait que les investisseurs soient étrangers, ne peuvent pas être des arguments que l’on peut retenir.<br /> Même s’il est vrai que l’on peut regretter, comme tu le signale, que de plus en plus, ce qui se fait en Tunisie, n’est plus à destination de la population.<br /> Ce qui été aberrant dans les mégaprojets, c’est leur déconnection avec la réalité du terrain (économie local, capacité de distribution, capacité de production, compétences, infrastructures…)<br /> Revenir à des projets de 50 hectares, ça devient plus réaliste et plus économiquement plus efficace pour l’économie.<br /> Ce qui reste un problème c’est la corruption, celle qui permet de passer outre toutes les lois qui protège notre littoral et nos biens publics. <br /> Ce qui est contestable donc ce n’est pas la réalisation de ce type de projet, mais la pourriture qui tourne autour de ce type de projet, qui ne peut qu’attirer que des investisseurs pourris ou des capitals risqueurs à l’affut d’opérations spéculatives.<br /> On conclusion, je te rejoins sur ta conclusion, mais pas sur tes arguments.<br /> ;-)
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DEBATunisie
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