Du Chaambi à Gaza
Le Jeudi 17 Juillet 2014, une attaque terroriste sur le mont Chaambi, près de la frontière avec l'Algérie, a tué 14 soldats tunisiens.
Ce drame comme ses précédents, suscite les mêmes débats et querelles dans l'opinion. A chaque fois deux théories s'affrontent pour tenter d'expliquer ce phénomène devenu habituel depuis la révolution :
- La théorie malvo-franco-qatari:
Pour les tenants de cette théorie, l'affaire est simple: les salafistes ne sont que des marionnettes, voire n'existent même pas. Derrière leur prétendue existence se cacherait un complot régional orchestré par les intérêts franco-qataris, œuvrant par l'intermédiaire d'affairistes tunisiens mauves, eux-mêmes de mèche avec une frange de la police et des militaires. Leurs actions viseraient à bloquer le processus démocratique en marche considéré par cette mafia comme une menace pour leurs anciens privilèges, leurs intérêts, leurs contrats (pétrole, gaz, phosphate...) mais surtout contre l'impunité dont ils jouissaient sous Zaba.
- La théorie du péril salafiste:
Cette théorie a le mérite de se fonder sur la pratique: des vidéos, des témoignages, des comportements observés dans l’espace public témoignent suffisamment de la violence des groupes salafistes pour leur imputer la responsabilité des attentats, des assassinats politiques et de toutes les tragédies à venir. Mêmes Les militaires qui ont survécu attestent avoir entendu leurs assaillants crier Allahou Akbar ! Bref l’observation basique des faits plaide pour cette théorie. Ceux qui défendent ce point de vue, inscrivent le terrorisme islamiste en Tunisie dans un schéma régional. Eux aussi pensent que derrière ce plan se cachent des intérêts étrangers. On retrouve à nouveau le Qatar. Mais de manière général ce sont des enturbannés du golfe qui conspirent avec leurs vassaux zaballahistes pour imposer un nouvel ordre idéologique dans la région: le califat.
Le problème de ces théories, toutes aussi plausibles les unes que les autres, c’est leur « invérifiabilité ». La chaîne de commandement, la multiplicité d’acteurs, les transactions d’argents, d’armes, d’homme, sont in-traçables. De fait le choix d’une théorie ou de l’autre ne dépend pas tant des preuves apportées mais plutôt du positionnement idéologique de celui ou de celle qui défend l’une ou l’autre des deux thèses. En disant cela, je ne veux surtout pas dire que n’existe aucune explication sur ce qui se joue au Chaambi, ni qu’aucune investigation n’est utile pour éclairer l’opinion. Je pense plutôt que la complexité de tels conflits, la convergence d’intérêts entre des acteurs de bords supposément opposés, fait qu’aucun récit ne puisse à lui seul raconter le drame. La réalité est peut être beaucoup plus complexe et décevante que le mythe qu’on cherche à lui assigner.
Par contre il y a un prisme d’analyse structurel, plus large dans son champ d’observation et plus général. Avec ce prisme il n’y ni méchant ni gentil, il n’y ni complot djihadiste, ni complot Rcdiste. Il y a le constat de l’énorme réserve de misère économique et existentielle qu’ont causé des décennies de dictature, d’échec économique, de partage injuste des richesses, bref de « tahmich » (voir ce lien). Rien de nouveau dans ce que je dis là. Tout le monde partage ce diagnostic. A cette différence près que je considère que la doctrine religieuse constitue le principal catalyseur du passage à l’acte et de la violence qui en résulte. Le texte sacré est le supplément de sens suffisant et nécessaire, pour que la réserve de misère existentielle se mue en une armée d’hommes se battant non pas contre les injustices sociales, ni contre la corruption, mais pour rétablir du sens et se relier aux temps immémoriaux de l’époque des prophètes et des Dieux.
Peu importe celui qui leur fournit les armes, tant qu’ils restent guidés par cet idéal métaphysique qui donne enfin sens à leur vie. Ces jeunes qui ont agi au Chaambi sont en dehors de la temporalité quotidienne, des échéances électorales…Ils rejouent le même scénario de la Bataille de Badr menée par le prophète contre les caravanes mekkoises en plein mois de Ramadan. Leurs financiers et commanditaires, pensent peut-être les utiliser pour retarder les élections et bloquer le processus démocratique en Tunisie. Mais pour eux c’est sous-estimer leur dessein prophétique que de les limiter à ces bas objectifs terrestres.
On ne peut pas les accuser de mal interpréter le texte sacré. Il s’agit juste d’une certaine interprétation que le flou artistique du religieux permet, et qui conjugué à la misère existentielle, génère ce cocktail explosif. L’Islam n’étant pas défini, il est une porte ouverte à toute interprétation, aussi bien violente que pacifique. Si la Tunisie n’entame pas sa sortie définitive du dogme religieux par une constitution qui défend la neutralité religieuse de l’espace public, par une éducation qui exclut tout endoctrinement religieux, la société continuera à enfanter des monstres qui trouveront dans la religion tout ce qu’il faudra pour se faire exploser.
Mais rassurez-vous, ces monstres n'ont rien de tunisiens, répéteront en choeur nos intellectuels et nos politiciens, car l’islam tunisien est modéré ! comme l’alcool, il faut savoir consommer l'Islam avec modération ! Ils reconnaissent implicitement qu’à forte dose, il devient dangereux. Sauf qu’à chaque fois, qu’un fou d’Allah ou qu’un salafiste zigouille au nom du religieux, ils lui nient toute relation avec l’islam et avec la Tunisie. Comme si on niait l’effet de l’alcool sur un ivrogne sous prétexte que l’alcool se consomme avec modération.
Voilà donc l’aporie dans laquelle ne cessent de se dépêtrer nos élites et en premier lieu le président Marzouki. Celui-ci qui enchaine les funérailles de militaires nous ressort la même rengaine sur la prétendue modération de l'islam tunisien. Dans son dernier discours, s’adressant aux terroristes, il leur rappelle menaçant, « la voie religieuse » que continuera à suivre la Tunisie, voie précise-t-il, « sunnite, malékite, modérée». En gros, nous continuerons à boire notre Celtia nationale et allez vous faire foutre avec votre Whisky !
Alors que la solution aurait été d’interdire purement et simplement la consommation de la religion dans l’espace public voilà qu’en plein mois de ramadan notre président nous incite à l’ivresse religieuse modérée…
Gaza
Ce qui vaut pour l’Islam vaut pour toutes les religions. Toutes furent en leur temps des révolutions spectaculaires. Mais aujourd’hui par leur anachronisme elles deviennent des idéologies dangereuses. Ainsi en est-il du judaïsme. Construit sur l’idée du peuple élu, il porte en ses germes un communautarisme latent dont le sionisme serait une manifestation politique moderne. Évidemment tous les juifs, ne sont pas des sionistes, comme tous les musulmans ne sont pas des islamistes. Mais les uns comme les autres se reconnaissent dans des traditions et dans des textes sacrés qui permettent tout et son contraire.
C’est ce lointain héritage métaphysique, qui est seul responsable de la colonisation des territoires palestiniens. Le bombardement de Gaza en ce moment même est le dernier épisode de la manifestation armée d’un mythe religieux soutenu indirectement par les autorités occidentales. Derrière l’appui tacite de l’occident se cache la repentance envers les Juifs massacrés par l’antisémitisme nazi. Cette repentance est devenue ridicule. Notamment en France où l'on interdit des manifestations antisionistes sous prétexte d'antisémitisme (voir ici). Ce qui revient à interdire l'indignation que suscite les massacres d'Israël sur Gaza. Ce qui revient à donner carte blanche à Israël pour que se poursuive son projet colonialiste à caractère religieux. Voir le discours de Manuel Valls (Surtout la minute 2:50 de cette vidéo)
En tant que caricaturiste blasphématoire, toujours tenté de faire sauter les couvercles, je me demande si l’antisémitisme pacifique ne devrait pas être aussi toléré que l’islamophobie ambiante pour pouvoir enfin dénoncer Israël et le sionisme. Ne hurlez pas. Si je dis ça c'est à cause de Charlie Hebdo et de certaines discussions que j'ai pu avoir avec des dessinateurs français qui saluaient mon islamophobie et ce au nom de la liberté d’expression. Toutefois, me disaient-ils, la caricature du musulman est strictement différente de la caricature du Juif. La différence demeure dans l'histoire douleureuse du judaïsme. Mais ce qui sépare fondamentalement le Juif du musulman, expliquait Charb dans un article de Charlie Hebdo, c'est d'abord le caractère ethnique du Juif (J majuscule) très distinct en cela du caractère idéologique du musulman. En gros, l'un appartiendrait à une "race" et l'autre à "une idéologie". L'un nait Juif, l'autre choisit d'être musulman. Pourtant les musulmans comme les juifs disent aussi faire partie d'une "oumma", qui au-delà du religieux, se base sur une ascendance commune -réelle ou non-, une culture commune et un vécu commun. Bref, le musulman comme le juif, prétend appartenir à une race. Alors pourquoi ce qui vaut pour les uns ne vaut-il pas pour les autres ?
J'arrête ici.
Chers amis, aimons nous les uns les autres, que Boukornine bénisse toute l’Humanité. Amen