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DEBATunisie
5 mars 2021

Diagnostic d'un virus cérébral

En ce temps de covid, de corruption généralisée, de crise politique et économique aigüe, je souhaite revenir sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur : le virus de la religion. Je ne vais pas vous parler d'Islam, d'islamisme de Daech ni de Ghannouchi, mais du rapport maladif que nous entretenons avec le fait religieux dans notre société, en m'appuyant sur un entretien entre un journaliste et un universitaire sur une chaîne de télévision populaire : voir ici

L'universitaire en question s'appelle Afif Bouni. Il a été invité le 14 février sur la "Tessi3a" pour parler durant 50 minutes de son ouvrage "Encyclopédie du Coran" ( انسيكلوبيديا القرآن ), fruit de 26 ans de travail et dans lequel il propose une lecture non doctrinaire du Coran basée sur la linguistique, l'histoire et la sociologie. Il est interviewé, par le fameux Borhen Bsais, ce mauve qui a réussi en 10 ans à faire sa mue, en changeant son ancien look de technocrate de la Dictature par celui du gars sympathique, "branchouille", une sorte de Pascal Praud à la tunisienne, que chaque Ben Simpson progressiste rêverait d'inviter chez lui un samedi soir pour débattre foot et politique en ayant l'air intelligent.

Inquiétude

Ce qui m'intéresse dans cette interview, ce n'est pas tant le contenu de l'ouvrage en question, mais l'inquiétude et l'agressivité de Bsais face à un professeur qui explique avec le plus grand calme, le nécessaire examen scientifique du Coran en dehors du prisme religieux. Afif Bouni, contrairement à d'autres intellectuels invités à parler d'Islam, ose déclarer devant des millions de téléspectateurs, sa négation de la réalité "matérielle" de la révélation, du diable, du paradis, de l'enfer et ose insister sur la distinction entre la légende et l'histoire, le physique et le métaphysique. Ces propos font hurler Bsais, non pas qu'il soit choqué au nom de sa foi, mais au nom de sa "pensée religieuse", celle-là même qui habite l'esprit de la plupart de nos compatriotes, parmi lesquels les dits progressistes dont fait partie Borhen Bsais. Il s'agit de la même matrice qui structure la pensée islamiste, celle-là même qui confond le monde visible avec le monde invisible, le céleste et le terrestre, et qui trouve donc normal d'appliquer les lois de l'au-delà dans l'ici-bas. Cette pensée "magique" est aux commandes, au parlement, à Carthage, à la maison comme à la télé.      

BORHEN_BSAIS

Bsais, en porte-parole de la plèbe, montre qu'il n'a rien lu de l'ouvrage, et ne cesse d'interrompre son invité pour lui demander à quoi bon un tel examen scientifique du Coran. Chaque 10 minutes, il lui repose cette même question et se demande si un tel travail ne participerait pas à braquer les esprits et à alimenter l'islamisme. Il est intéressant de noter que Bsaïs (islamiste malgré lui) use du même argument islamiste qui consiste à accuser les "hérétiques" de contribuer à alimenter l'extrémisme. Argument selon lequel, il vaudrait mieux se contenter de la "modération", afin de ne pas chauffer les esprits... Modération, mot cher à Ben Ali et à Ghannouchi, aussi islamistes l'un que l'autre (Zaba= Zaballah), dont l'objectif a toujours été chez l'un comme chez l'autre, d'endormir l'esprit critique et céder à la pensée magique. Depuis des siècles, dans nos contrées, on a bien compris qu'il était plus facile de gouverner des "sujets" qui croient à l'existence physique de l'ange Gabriel, comme des enfants croient en la réalité du père Noël.

L'islam est-il le problème ?

L'islam comme toute religion, fut une révolution spirituelle et politique en son temps, et n'est ni pire ni meilleur qu'une autre croyance. C'est la pensée religieuse et sa propagation dans l'espace public qui est un véritable problème et un frein évident à l'émancipation de la société et des individus. Il ne sert à rien de questionner la corruption, les inégalités, l'économie de la rente (sujet à la mode) si l'on ne couple pas systématiquement ces sujets importants à la question du rapport à l'au-delà, si l'on œuvre pas pour que l'éducation nationale sépare dans la tête des gamins, le physique du métaphysique. Il s'agit d'un énorme chantier qui se construit sur le temps long, mais qu'on ne peut pas reporter pour le lendemain. 

Il ne s'agit pas de mener une guerre contre l'islam, ni de revendiquer l'athéisme comme solution, mais de lutter contre cette dite pensée religieuse. Nous n'aurons plus à mener des luttes séparées, celles des féministes pour les droits des femmes, celles des LGBT pour les droits des homosexuels, celles des artistes pour la liberté d'expression, mais une lutte en amont, la mère de toutes les luttes, celle grâce à laquelle d'une seule pierre nous marquerons tous les coups. 

Le cas Saïed 

Il est intéressant de noter que la Tunisie a réussi à élire démocratiquement à la tête de l'Etat, un non islamiste, non corrompu a priori incorruptible et indépendant. Mais voilà que ce monsieur sur lequel des millions de personnes ont fondé leurs espoirs, révèle jour après jour son goût pour le "prophétisme". Je me lance ici dans une interprétation subjective certes, mais il me semble évident, que la théâtralité de ce monsieur, son rapport maniaque avec le discours et les écritures, ne relève pas seulement du trait de caractère, mais de la pensée religieuse. Saïed ne semble pas tant animé par le soucis de régler les problèmes du pays, que de mettre à témoin Allah des incuries des hommes comme il ne cesse lui-même de le répéter.

Toute pensée magique quand elle arrive au pouvoir, perd mécaniquement le sens des réalités. Kaïs Saïed pourrait être le plus incorruptible de nous tous, il se fera inéluctablement rattraper pas la corruption de sa pensée religieuse. 

IKHCHIDI_2

Le cas Moussi

L'efficace lutte que mène Abir Moussi contre Ghannouchi, n'est pas une guerre contre l'islamisme comme prétend son fan club, mais une guerre d'un islamisme contre un autre. Cette dame est aussi factice que Borhen Bsais, que son mentor Ben Ali, et que tous les Ben Simpsons qui la soutiennent. Elle est tout aussi habitée par la pensée religieuse et s'oppose à l'égalité successorale entre les deux sexes et à la dépénalisation de l'homosexualité, car ces idées "porteraient atteinte à la sacralité du texte coranique" (dixit son parti, voir ici)

Le respect des croyances dites-vous ?

Mes amis, en guise de conclusion, je souhaite vous inviter à ne plus céder à l'injonction du respect des croyances de la majorité. Cette injonction à la retenue au nom d'un vivre ensemble pacifique, a été le piège dans lequel nous nous sommes tous engouffrés. Nous n'avons rien récolté de cette douloureuse concession, ni la paix promise, ni la richesse, ni la joie. Pire encore, nous avons même perdu du terrain, et bientôt nous peuplerons les prisons *. Eux, par contre, avancent partout leurs pions.

Il n'y a donc plus rien à perdre à oser être plus frontal et à s'attaquer directement au sacré **. Il n'y a que le choc qui soit capable d'éveiller les esprits. Puis un dernier mot pour conclure, destiné en particulier à nos amis de gauche :
Ok ! focalisons toujours sur les luttes sociales. Cette bataille est nécessaire, personne n'en doute. Mais si nous ne menons pas ensemble, ou du moins en parallèle, un front intraitable contre la pensée religieuse, c'est la guerre toute entière qui sera perdue.
____________________
*Rania Amdouni, la militante queer, vient d'être condamnée à 6 mois de prison ferme avec exécution immédiate (voir ici). La Justice l'accuse d'outrage à fonctionnaire public, mais la sévérité de la peine et l'acharnement judiciaire contre cette jeune fille, ne fait que révéler encore et encore, la contamination de l'ensemble des appareils de l'Etat par la pensée religieuse. Pensée qui rappelons-le, "diabolise" (au sens propre et figuré) tout ce qui ne ressemble pas au troupeau, en se basant sur des références de l'au-delà. 

**S'attaquer au sacré ce n'est pas forcément une revendication athéiste ou areligieuse, elle ne cible pas non plus une religion en particulier. Elle peut même être menée par des croyants. Il s'agit simplement de frapper symboliquement et sans concession toute emprise du religieux sur l'espace public, sur la constitution, sur l'éducation et sur la sphère politique...

Commentaires
S
tout à fait et bien dit et clairement,mais ce frein que vous décrivez bien ne peut lacher qu'après plusieurs coups successifs et ininterrompus par des têtes bien faites et bien rigides. Dommage!
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F
Et au milieu de ce chaos, Rania Amdouni est emprisonnée pour 6 mois alors qu'elle s'était rendue au poste de police pour se plaindre du harcèlement et des menaces qu'elle subit !!<br /> <br /> Elle dérangeait trop...Une marche est prévue demain à Tunis pour la soutenir.
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DEBATunisie
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