De la caricature blasphématoire (3)
Le cas Tawfiq Omrane
Dans la pente glissante d'une dictature, il y a des étapes incontournables. Après celles des opposants et des journalistes, arrive fatalement le tour des caricaturistes. Ce fut le cas de notre ami et confrère Tawfiq Omrane qui vient de passer par la case prison le 21 septembre 2023. Ce dessinateur qui opère depuis l'époque de Bourguiba, a réémergé après la révolution par de fantastiques dessins acerbes et critiques envers les pouvoirs successifs. Il n'a jamais été inquiété durant la dite "décennie noire" jusqu'à ce qu'il se fasse arrêter, il y a tout juste une semaine, à Mégrine, sa ville de résidence. Libéré le lendemain, sûrement à cause du tollé médiatique, Tawfiq attend d'être jugé.
Il est utile de rajouter que Tawfiq a d'abord été interpelé pour une histoire de "chèque sans provision". Voyant que le dessinateur ne mordait pas à l'hameçon, le commissaire a fini par sortir de son tiroir 3 caricatures et de l'interroger sur le caractère offensant des dessins à l'encontre du premier ministre. Un de ces dessins moquait justement la dernière visite de Hachani dans une école primaire (sujet qui avait aussi inspiré mon dernier article). Le communiqué du même premier ministère publié le lendemain, nie toute motivation politique et ramène cette affaire à une histoire bidon de chèque sans provision, expliquant en conclusion, que le dessinateur Tawfiq Omrane, en mal de reconnaissance, voulait se faire passer pour un prisonnier d'opinion.
Ce communiqué en soi, porte l'empreinte du président lui-même : il combine la mauvaise foi (mensonge du chèque sans provision), la méchanceté (sous-entendre que le dessinateur souffre d'un manque de reconnaissance) et démontre surtout la nullité des services de l'Etat incapables de se coordonner, puisque les policiers de Mégrine ont bien évoqué les caricatures durant l'interrogatoire.
Ces trois caractéristiques, mauvaise foi, méchanceté et incompétence sont la signature et les marqueurs génétiques du régime de Kais Saïed que je résume par le concept du chlékisme (de chléka).
Des chlékas à mes trousses
Si Tawfiq a été inquiété directement par le régime ce 21 Septembre, j'ai été autrement malmené le 11 septembre de cette même année. Je me dois envers mes lecteurs, de revenir sur un épisode sur lequel j'ai préféré garder le silence afin de laisser passer l'orage.
Suite à un dessin publié sur mon blog et mes réseaux sociaux (voir ici) moquant une instagrameuse comptant des millions de fans, je me suis retrouvé sous la menace de voir exposer publiquement mon identité (doxxing). Sollicitant ses followers et de prétendues personnes "haut placées", au bout de deux jours la jeune femme balance la photo d'un individu supposé être "_z_", exposant cette pauvre personne à la vindicte populaire. Fière d'avoir jeté en pâture "le journaliste" qui déteste "notre président" (ce sont ses propres mots), l'influenceuse assume sa délation en livrant un présumé "_z_" à la police. Elle dit avoir aussi obtenu son adresse et son téléphone et lui conseille de déménager et de changer de travail.
Je ne vous cache pas chers amis, que je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Non pas à cause des menaces directes sur l'intégrité physique du prétendu _z_, ni de la peur que peut susciter le spectacle de lèvres botoxées, de seins siliconés, ou de grands sourcils noirs à la Ben Ali. Ce qui a eu raison de mon sommeil ce 11 septembre 2023, c'est la prise de conscience de l'ampleur du chlékisme dans notre société, et sa capacité à tout infiltrer, même l'univers superficiel des influenceuses. J'ai eu une vision cauchemardesque où le fascisme épouse la fashion, dans un carnaval réunissant tiktokeuses botoxées, foules haineuses, flics en uniforme, et barbouzes du consulat, le tout sous l'influence hypnotique du tiktoqué de Carthage, orchestrant du haut de Boukornine une affreuse danse macabre.
Catharsis
Avant d'aller plus loin, je voudrais simplement remercier du fond du cœur, toutes les personnes qui m'ont soutenu durant cette "épreuve". En réalité je pense être un peu immunisé contre ces dénonciations. Rappelez-vous, sous Ben Ali déjà des "innocents" ont été accusés d'être _z_ (voir ici). Plus tard en 2012, un journaliste a été aussi pris pour moi (voir ici). Mais un jour, on finira par me sortir de ma tanière. En attendant, je vous promets de faire le maximum de dessins contre notre dictateur, pour que vous inondiez internet de caricatures le jour de mon emprisonnement. Mieux que ça ! je vous livre (comme je l'ai déjà fait sous Zaba) un cours gratuit de dessin pour que vous vous y mettiez à votre tour, et que vous poursuiviez après moi, la guerre picturale contre cet énième régime avilissant, bête et méchant…
Pour cela, apprenez à dessiner Kaïs Saïed. Suivez le guide:
Entrainez-vous à dessiner Zabaïed, et profitez du fait que la tronche de notre président est déjà assez caricaturale en soi.
Une fois que vous avez maitrisé son visage, faites travailler votre imagination et jouez des mots pour lui trouver de nouveaux sobriquets…
ou encore…
Je vous invite à poursuivre cet exercice en me communiquant vos idées, ou de préférence vos dessins, qu'on rajoutera à la collection de NFT "ZABAIED" (voir ici).
Conclusion
Boukornine assistera (à) la chute de la sainte Chléka !