Le Barrage de la Révolution cède...
A croire les blogueurs et autres rigolos de mon espèce, le pays s'enfoncerait chaque jour dans ce fameux gouffre. A part reprendre depuis 4 ans ce même thème du gouffre dans lequel la Tunisie ne cesse de plonger, nous autres blogueurs et autres emmerdeurs nous n'apportons rien de neuf. Outre notre pessimisme chronique, nous ne cessons d'accuser notre intelligentsia d'être nulle, bête et fourbe (d'ailleurs, nous ne prétendons faire partie d'aucune intelligentsia et ce "nous" reste encore à définir...)
Avec la terrible vague de terrorisme du Bardo et de Sousse, le gouffre est devenu une réalité et la stupidité de nos élites une évidence. Les scandales se succèdent l'un après l'autre. Des cas de torture avérés et des lois de réconciliation nationale avec les mafieux et personne ne moufte. Notre rôle d'emmerdeur facebookien devient une nécessité vitale. Nous n'apporterons toujours rien de neuf, mais que c'est bon de péter un bon coup histoire de les emmerder encore. Parmi cette élite, je distingue certains universitaires, journalistes et hommes ou femmes de lettres qui s'expriment ici et là.
Ainsi ai-je noté dans la suite de l'affaire du prétendu kidnapping et torture de 7 individus soupçonnés de terrorisme, l'empressement systématique de nos intellos à s'en remettre à la version officielle. Je note le cas de l'universitaire Raja Ben Slama par exemple, qui s'en prend carrément aux sceptiques et les accuse de défendre le terrorisme : "Le terrorisme a ses défenseurs. Ils appellent l'arrestation kidnapping. Les terroristes seraient au dessus des lois. Les médias relaient leurs allégations. Le terrorisme profite d'une justice complaisante et de médias aux ordres" (écrit le 5 Août sur sa page FB). Cette dame ignore le concept de présomption d'innocence et semble beaucoup plus outrée par les avertissements des sceptiques que par l'usage probable de la torture.
Ceci n'est qu'un exemple parmi tant d'autres illustrant une tendance générale qu'il est difficile d'expliquer. Est-ce la peur maladive de tout ce qui porte une barbe qui appauvrit leur raisonnement ? Est-ce la loyauté aveugle à l'ordre bourguibiste ? Est-ce leur nostalgie inavouée au Benalisme ? ... *
La trahison des clercs **
Un intellectuel par son savoir et ses connaissances, incarne la mémoire et l'oeil vigilant du citoyen. Dans les sociétés tourmentées, l'intellectuel redouble de vigilance. Le monde arabe, par exemple, est un terrain qui exige de lui une attention plus accrue encore. Un penseur rigoureux qui étudie ce terrain ne peut occulter l'importance de la terreur policière que subissent les populations (surtout les plus fragiles) depuis plus d'un demi siècle. Les régimes arabes, du Maroc jusqu'en Irak, représentent des variations sur le même thème de la matraque et de la torture. Pas besoin de faire une thèse d'État pour saisir cette caractéristique.
Et pourtant, ils n'en ratent pas une, nos intellos pour donner toujours carte blanche au ministère de l'intérieur et participer avec les syndicats de police aux campagnes de dénigrement des associations de Droit de l'Homme, exactement comme à l'époque de Ben Ali.
On pouvait encore excuser leur silence complice sous la dictature de Zaba, mais aujourd'hui ?
"Sauterie" d'intellos contre le terrorisme
Nous pourrons apprécier le zèle et l'enthousiasme de nos intellos tunisiens le Mercredi 12 Août dans une conférence intitulée "Congrès des intellectuels tunisiens contre le terrorisme". Tous nos cerveaux vont se creuser les méninges au Palais des congrès de Tunis à Partir de 17h. Ce conclave sera modéré par la Journaliste Meriem Belkhadi. Cette dernière, dans une déclaration récente, nous explique qu'éteindre sa cigarette sur un suspect ne relève pas de la torture, mais de la psychologie. Bref, ça promet de chauffer pour les terroristes. Ne ratez donc pas l'événement ! (voir ici)
La Révolution est un barrage trop fragile
Les révolutions arabes sont trop récentes et encore trop fragiles pour contrer une prédisposition quasi congénitale à la violence d'État et à la corruption. On peut même constater les difficultés voir l'échec des dites révolutions face à la tentation pavlovienne de la matraque et de "l'argent sale" (fiasco notoire en Égypte en Syrie et en Libye). Demeure donc la Tunisie, seul îlot de "résistance". Ce pays s'est constitué en barrage. Un barrage en béton mais qui craque déjà. La pression est telle que de nombreuses fissures se forment...
Sur ce, bon bronzage !
* Beaucoup de mes amis reconnaissent trouver beaucoup de mal à critiquer cette prétendue élite, du fait des relations professionnelles voire amicales qui se sont nouées après la Révolution. Je remercie donc Allah, Jésus et Boudha de m'avoir permis de préserver au maximum mon anonymat et d'échapper ainsi à certaines mondanités castratrices...
** "La Trahison des Clercs" est un ouvrage de Julien Benda paru en 1927 à une époque où de nombreux intellectuels et artistes se tournaient vers la politique au nom du réalisme. L'auteur leur reproche de se détourner des valeurs cléricales, c'est-à-dire la recherche du beau, du vrai, du juste. Cet ouvrage vise plus particulièrement les intellectuels qui prônent l'ordre, un état fort, le nationalisme, les traditions…(Wikipédia)