La polémique sur la circulaire "fantôme" est au RDV chaque mois de Ramadan. Il suffit d'une fermeture forcée d'un café ou d'un resto, (souvent dans les quartiers populaires), pour que soit remis sur la table avec les briks et la salade Mechouia, le sempiternel débat sur les relations entre notre Constitution et Allah (voir ici).
Article 1, piège à cons
Et pourtant, nous savons que tout débat sur la question est presque inutile tant que l'article 1
* de notre Constitution stipulera que l'Islam est religion de L'État. Tout débat devient donc restreint au cadré fixé par la religion elle-même, et explique la dite circulaire fantôme et d'autres à venir...
On a souvent tendance à croire que l'article n°6 (celui qui nous garantit la prétendue liberté de conscience) est ZE article qui nous protège de l'allahisme et ses circulaires. Certains même s'en vantent jusqu'à qualifier de laïque la Constitution tunisienne. Mais à le regarder de près, cet article semble même nous l'enfoncer encore plus profond qu'on ne le pense. Que dit donc l'article 6 (Constitution de 2014)?
"L'État est gardien de la religion. Il garantit la liberté de croyance, de conscience et le libre exercice des cultes ; il est le garant de la neutralité des mosquées et lieux de culte par rapport à toute instrumentalisation partisane. L’État s’engage à diffuser les valeurs de modération et de tolérance, à protéger les sacrés et à interdire d’y porter atteinte, comme il s’engage à interdire les campagnes d’accusation d’apostasie et l’incitation à la haine et à la violence. Il s’engage également à s’y opposer."
-La mention "L'État est gardien de la religion" porte la source même de nos emmerdes : le simple fait que ce soit "la" religion (et non "les" religions) suggère bien l'idée qu'il est ici question de la religion de l'État et donc de l'Islam. On peut alors comprendre que dans ses fonctions de "gardiennage" de la dite religion, la police joue pleinement son rôle en appliquant la circulaire "fantôme" qui oblige à l'observation d'un des 5 piliers de la Religion, le jeûne. Estimons-nous même heureux que d'autres circulaires ne viennent assurer le kit complet de gardiennage des 4 autres piliers.
(dessin extrait de cet article qui date de Juillet 2013)
"Il garantit la liberté de croyance, de conscience et le libre exercice des cultes". Ces belles promesses ne sont assurées que si et seulement si l'État se positionne à égale distance entre toute forme de croyance. Ce qui est démenti par la simple mention "L'État est gardien de la religion", qui est un positionnement explicite en faveur du fait religieux, en l'occurence l'Islam. Ou alors qu'il nous précise de manière explicite, si ces sympathiques garanties de liberté ont droit d'expression de manière égale dans l'espace public ?
Puis-je par exemple construire mon temple boukorniste et appeler à la prière 13 fois par jour ? ou alors puis-je ouvrir une chaîne Athée, L'athée TV (au même titre que la Zitouna TV), dans laquelle je prêche nuit et jour l'inexistence de Dieu et dans laquelle Jalel Brik présenterait le JT ?
-Puis interrogeons-nous sur le sens du mot conscience (ضمير) flanqué entre la croyance (عقيدة) et l'exercice de culte. Il s'agit d'un euphémisme qui en évitant de nommer clairement les choses, l'athéisme par exemple, nie jusqu'à son existence.
Ainsi donc, l'article n°6 par ses non-dits en dit beaucoup plus qu'on ne le pense et montre qu'on peut transformer le pays en un État allahiste sans rien changer au texte de la Constitution. Voilà ce que dit implicitement l'article n°6 aux non allahistes :
"Attention, l'État est gardien de l'Islam puisque l'Islam est sa religion. Toute autre forme de croyance, même l'athéïsme (astaghfiroullah!) vous est garantie par l'État mais dans le confinement de l'espace privé. Comme Allah est déjà dans la constitution on n' a plus besoin des mosquées pour faire sa propagande politique, ceci est une bonne garantie de la neutralité des lieux de culte. L'État s'engage à tolérer votre existence (vous pouvez nous remercier) mais attention !! Gardez-vous surtout de porter atteinte au sacré (Allah) ! L'État, s'engage à ce que personne ne vous traite d'athée car c'est la pire des insultes (qu'Allah nous en préserve !)"
Conclusion
Pour la garantie d'un vivre ensemble harmonieux sans que l'État n'ait à intervenir sur nos croyances et nos pratiques religieuses il est non seulement nécessaire d'abroger la mention de "l'Islam religion de l'État" dans le premier article de la Constitution, mais il est aussi urgent de modifier l'article 6 et d'introduire la notion d'espace public et espace privé de sorte que l'on sache clairement qui du buveur de Celtia ou du jeûneur de Ramadan a droit au trottoire. En tant que constitutionniste sebkhiste et rédacteur en chef du saint Sebkhan, je propose en toute modestie ce modèle fortement inspiré de la Constitution de 1959** :
"La République Tunisienne garantit les libertés fondamentales et les droits de l'homme dans leur acception universelle. La République Tunisienne garantit l'inviolabilité de la personne humaine et la libre expression dans l'espace public de sa croyance religieuse, spirituelle ou de son athéïsme. Elle garantit le libre exercice des cultes seulement dans les espaces alloués à cet effet"
(dessin extrait de cet article qui date de Juin 2011)
* La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime. Il n'est pas permis d'amender cet article.
** L'article n°6 est plus "allahiste" que son équivalent (l'ex article 5) de la Constitution de 1959, qui stipulait ceci:
"La République Tunisienne garantit les libertés fondamentales et les droits de l'homme dans leur acception universelle, globale, complémentaire et interdépendante. La République Tunisienne a pour fondements les principes de l'Etat de droit et du pluralisme et œuvre pour la dignité de l'homme et le développement de sa personnalité. L'Etat et la société œuvrent à ancrer les valeurs de solidarité, d'entraide et de tolérance entre les individus, les groupes et les générations. La République Tunisienne garantit l'inviolabilité de la personne humaine et la liberté de conscience, et protège le libre exercice des cultes, sous réserve qu'il ne trouble pas l'ordre public."