La foire aux idoles
Une motion a été présentée le 9 Juin au parlement, demandant à la France des excuses officielles sur les crimes commis durant la colonisation. Initiative salutaire et nécessaire. En effet, il faudrait dans la suite des travaux de l'IVD, examiner de plus près le passé dans un cadre scientifique orchestré par des historiens des deux rives. Nous n'avons pas tout réglé avec la France à cause de notre perpétuelle dépendance économique envers ce pays. Pardon, il ne faut pas dire dépendance mais partenariat. Il n y a donc rien de mal à vouloir crever cet abcès avec nos anciens colons. Cela nous permettrait d'assainir nos relations avec un pays qui nous a pénétré le corps certes, mais aussi le coeur et l'esprit.
Malheureusement cette motion est proposée par la "coalition de la karama", ce fameux conglomérat d'allahistes fréristes qui ont réussi l'exploit de passer directement de facebook à l'assemblée nationale. Leur démarche ne s'inscrit dans aucun travail de mémoire (ces gens n'ont dû ouvrir aucun livre d'histoire) mais pour simplement emmerder les néo-bourguibistes et gagner des likes sur facebook. Et s'ils n'ont pas réussi à faire passer leur motion*, ils ont au moins déclenché la fureur de Moussi et ses abiroïdes.
Les idoles
Le député Rached Khiari de la "karama" dans sa prise de parole, a évoqué la collaboration de Bourguiba avec les Français. Cette simple déclaration a provoqué une scène d'hystérie collective anthropologiquement intéressante. Ce spectacle a été donné dans un parlement où déjà les députés arboraient les effigies de leurs idoles donnant à l'hémicycle du Bardo, un air de Kaaba préislamique. Chaque clan protégeant jalousement sa divinité païenne (Bourguiba, Hached, Ben Yousef, Momo...) dans une atmosphère de surenchère générale, où la moindre offense devient blasphème, profanation et atteinte au sacré. Le prophète, qui à son époque, avait récupéré le concept d'un Dieu unique, voulait justement réunir tout le monde autour d'une seule bannière afin d'éviter ces malheureuses querelles et créer une Nation (la Oumma). Mais rien n'y fait, 14 siècles après, en Tunisie et dans toutes les contrées allahisées, l'idolâtrie reste profondément ancrée dans notre inconscient collectif. Momo doit se retourner dans sa tombe en apprenant qu'après Ellat, Ozza et Manat, notre panthéon arabe compte une centaine de nouveaux idoles, dont Naceur, Sadam en passant par Bourguiba.
Je voudrais à cet effet, offrir à la science ma modeste expérience de blogueur ayant attenté à la sacralité de Ben Ali, Momo, Allah ou Bourguiba. Je dispose depuis 2007 d'une belle collection d'insultes, de menaces qui témoignent d'un continuum anthropologique entre toutes ces figures sacrées et qui pourrait à mon avis servir de thèse de recherche en socio ou en ethnologie. Attention, ce que je dis là va plus loin que le simple constat de l'analogie entre la violence d'un Ben Simpson hystérique offensé par une caricature sur Bourguiba ou d'un allahiste anti Charlie. C'est plus profond que cela. Ce phénomène n'est pas seulement observable sur les réseaux sociaux. Il brasse toutes les catégories d'âge et ce quelque soit le niveau d'éducation. Une pulsion exterminatrice à l'encontre du clan adverse qu'illustre la toute récente agression de Jalel Brick à Paris (voir ici), et qu'entretient le parlement tunisien devenue une foire aux idoles....
*Le texte n’a pas obtenu les 109 voix nécessaires à son adoption, 77 ont voté pour 5 contre et 46 se sont abstenus.