Qu'est ce que l'Allahisme ?
Le texte qui suit n'a aucune valeur scientifique, comme tout ce que j'écris d'ailleurs. Mais si j'éprouve cette fois le besoin de le rappeler, c'est parce que dans cet article je prétends en toute modestie, poser les bases d'une réflexion sérieuse sur la notion du sacré à l'ère des réseaux sociaux . Avec la quantité de "violences électroniques" récoltées sur FB depuis 13 ans de caricature blasphématoire (insultes et menaces), j'ai accumulé suffisamment de "matière anthropologique" pour avancer l'hypothèse selon laquelle Allah n'est plus Dieu. Le concept d'Allah aurait muté, ou peut être incarne-t-il la résurgence d'un culte plus ancien...
L'Allahisme est un néologisme que j'ai imaginé pour désigner le culte voué à cette entité. L'allahiste, étant l'adepte de ce culte.
Agression de Jalel Brick
Ce tunisien exilé à Paris, est le poil à gratter de toute la classe politique tunisienne. Il est le seul depuis 2011 à oser rappeler que sans résoudre la question de Dieu, aucun salut politique n'est possible. Cela n'est pas sans générer des inimitiés de la part d'une large frange de la société tunisienne et des médias qui se sont donnés le mot pour ignorer jusqu'à son existence. Il aura fallu qu'émerge une vague de sympathie à la suite de son agression à Paris ce 10 juin, pour que Samir Wafi daigne lui accorder la parole dans son émission "Wa7ch Echecha", voir ici.
On ne peut que se réjouir de la solidarité exprimée en faveur de Jalel Brick, mais ce qui m'intéresse dans cette histoire, c'est hélas le soutien affiché et assumé en faveur des agresseurs. Parmi ces témoignages, je relève celui d'un jeune homme qui s'est exprimé par une vidéo. Son discours résume pour moi la matrice de la pensée allahiste. Il nous donne à voir le processus mental à l'oeuvre par lequel il justifie avec toute l'aisance du monde, la violence physique contre Jalel Brick.
Malheureusement cette vidéo vient d'être supprimée de FB je ne pourrai donc que vous résumer son contenu :
Le blogueur explique que la violence (physique) est la juste compensation de la violence (verbale) de Jalel Brick contre Allah. Il tient pour preuve une vidéo où ce dernier imitant un muezzin, chante "Qui d'autre qu'Allah est corrupteur, le même Allah qui vous fornique dans les cieux et sur terre". Le jeune est horrifié par le blasphème et exprime une douleur sincère expliquant que c'est "son" Dieu qui a été vandalisé par les propos de JB et qu'une "ligne rouge" a été franchie. "Allah" est vu comme une propriété privée protégée par une clotûre qui aurait été violée. D'où la riposte contre l'intrus en guise de légitime défense.
D'autres commentateurs "allahistes" sur FB ajoutent qu'attenter à Allah c'est toucher à leur mère. Ce parallèle avec la mère est très recurrent. Sur ma page DEBATunisie il est très étonnant de constater le nombre de commentaires où revient cette étrange analogie entre l'atteinte à la sacralité d'Allah et le corps de la mère...
Allah serait matière ?
Cette confusion entre le matériel et l'immatériel, le physique et le symbolique, le charnel et l'abstrait, pose la question du concept d'"Allah" : métaphysique ou/et physique ?
Je sais que je me lance dans un sujet qui dépasse mes compétences.
Je ne veux pas imaginer tout ce qui pu être écrit sur ces questions, que ce soit en Histoire, en anthropologie, en psychologie et puis surtout en philosophie. Je n'ai pas tout lu, tout examiné mais permettez-moi d'exposer, de mon point de vue de caricaturiste blasphémateur, ma théorie balbutiante sur la nature d'Allah. Je postule ceci :
Allah comme concept, dans notre inconscient culturel, du moins tunisien, n'est pas "Dieu" entendu comme entité supérieure bienveillante ayant créé l'univers et l'humanité. Il me semble qu'un énorme malentendu est entretenu sur la nature de Dieu par ce qu'est devenu l'islam, ou peut être par ce qu'a toujours été l'islam :
Une religion profondément idolâtre de par ses origines, mais qui paradoxalement est obsédée par le désire d'abstraction (hérité du christianisme et du judaïsme). L’idolâtrie, pour rappel, implique l'intermédiation d'une représentation matérielle (statue, pierre ou image) entre la divinité et son sujet. Allah serait donc une synthèse bâtarde : une idole dépouillée de sa consistance physique puisqu'il n'a plus d’effigie, de statuaire, de représentation. Et c'est à cause de ce dépouillement, qu'Allah s'est incarné dans l'abstraction de tout ce qui lui est associé et qui fait corps avec lui, comme par exemple le Coran, ou la figure du prophète.
Dans cette étonnante réincarnation de l'idole, il est logique de considérer qu'une caricature du prophète (Charlie Hebdo), une satire du Coran(#Emna_Chargui) ou une imitation du muezzin (JB), est tout naturellement interprétée comme une violence physique et non abstraite, car c'est le corps d'Allah qui est touché ("mass" bel mou9addasset).
"L'allahiste" zélé, peut au nom du culte qu'il voue à son idole, jouer le rôle de gardien du temple. Il a pour mission de neutraliser par tous les moyens qui lui sont donnés, l'intrus qui souille, qui profane, qui menace l'intégrité "physique" de l'idole. Alors que l'islam a multiplié les lieux physiques sensés incarner Allah, que ce soit par la Kaaba et tous les lieux saints, reste encore béante l'absence physique de l'idole. Alors on compense comme on peut, on incarne Allah partout. Même les pensées hostiles à Allah sont incarnées et interprétées comme autant de violences physiques qu'il s'agira de venger.
Allah Idole ?
Mais vous me direz donc, pourquoi l'idole génère-t-elle cette attitude ? En quoi une conception plus classique d'Allah Comme un Dieu abstrait et unique nous épargnerait-elle ces monstruosités ?
Je ne fais pas le procès du paganisme ni de l’idolâtrie. Les zaouïas et le maraboutisme que nous connaissons, sont de l'avis des chercheurs, des réminiscences du paganisme ancestral. Nous savons combien ces lieux ont rarement généré du fanatisme et on accuse même le démantèlement des Zaouïas par Bourguiba d'avoir été une des raisons de l'islamisation, ou plutôt de l"'allahisation"*. Il s'agit d'une sorte de retour du refoulé provoqué par la disparition d'un vaste tissu maraboutique qui canalisait sur l'ensemble du territoire ce besoin charnel et physique de Dieu.
Cependant, l’idolâtrie répond à un besoin politique d'identification du groupe à une entité supérieure, un saint, un ancêtre voire un djinn... L'idole est d'abord une bannière matérialisée et localisée territorialement qui réunit la tribu, le clan et la famille. C'est pourquoi, attenter à l'idole c'est s'attaquer à la famille, à la mère ! La riposte devient alors une question d'honneur.
Nous sommes ici très loin de la question métaphysique de Dieu et de la création de l'univers. L'idolâtrie est d'abord une affaire d'hommes.
Conclusion
Je ne me base que sur mon intuition. Ce que j'expose ci-dessus manque cruellement de références. Je vous conseille cependant un bouquin assez indigeste mais tellement riche en enseignements, "le livre des idoles" (كتاب_الأصنام) d'Ibn el Kalbi, écrit en 201 après l'hégire. Cet ouvrage liste les tribus et leurs idoles respectives et montre que les divinités préislamiques parmi lesquelles figuraient déjà Allah, sont avant tout des signaux d'affiliation tribales.
Il est utile de savoir qu'"Allah" désignait le Dieu Houbal, divinité locale dans le Hijaz. Il est représenté par un Croissant de Lune ou par un taureau. Cette divinité est une déclinaison arabe de Baal (Hou Baal) qu'on retrouve chez les phéniciens et à Carthage.
Il est d'autant plus intéressant d'apprendre qu'une aire dédiée à Baal se situait à Boukornine (qui s'appelait "Ba'al karnine") peut être à cause des deux cornes de la montagne qui rappellent la forme des cornes du taureau...ou d'un "Hilal" couché ?
On peut donc s'interroger sur la symbolique cachée du "Hilal" qui arbore nos drapeaux, et se demander même si L'Allahisme tunisien, ne serait-il pas une résurgence du ...Boukornisme ?
Merde alors ! Pour en savoir plus, cliquez ici.
لا بوكرنين الاّ بوكرنين، ولا سبخة الاّ السّبخة
*Bourguiba a mené une guerre contre les Zaouïas au nom de la lutte contre le charlatanisme et la prétendue collaboration des confréries maraboutiques avec le colon. Mais le démantèlement de ce vaste patrimoine faisait partie d'un marchandage avec les zitouniens, les tenants de l'Islam officiel, qui ne supportaient pas la concurrence de l’idolâtrie maraboutique. Ce quasi "génocide culturel" a créé un vide que l'"allahisme" a très vite fait de combler...