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DEBATunisie
28 août 2007

ACTE 1

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La situation de la Tunisie désole mais excite l’intellect. J’ai pris ma plume aujourd’hui, pour tenter d’exposer à ma manière les composantes d’une totalité complexe résultant d’une situation politique particulière.

Je puise mes réflexions  des préjugés sociaux émanant de mon contexte familial, d’opinions politiques défendues par des étudiants de mon âge, des jugements émis par ce que l’on pourrait appeler les « petites gens ». Aussi des situations personnelles, des drames familiaux, qui complètent le puzzle à une échelle plus réduite, mais qui semblent découler d’une même structure générale dont il me faudra par ce modeste essai révéler les tenants et aboutissants.

Le constat que j’ai pu tirer des ces témoignages, est que notre pays se désagrège et se clive.
Mon hypothèse est que l’absence d’un vrai débat public entre citoyens constitue la source de cette division :
La confiscation du dialogue fait que des différences sociales liées à des facteurs objectifs (niveaux de revenus, croyances, origines régionales) se muent en frontières symboliques étanches entre groupes sociaux.
Ce phénomène de décomposition expose les uns et les autres aux fantasmes et à la méfiance mutuelle. Le repli sur soi qui s’en suit joue en faveur du régime qui ne craint plus la menace d’une fusion des masses.

Dans la suite de cette analyse, je brosse un portrait de certaines « identités remarquables ».
Je distinguerai quelques dualités qui se recoupent et qui ne forment pas des identités figées.
Ainsi opposerai-je les "occidentalisés" des "islamisés".
Les "roturiers" des "bourgeois".
Aussi distinguerai-je certains statuts ou positions sociales qui créent des communautés mystifiées et reconnues comme telles.
Ainsi en est-il de l’élite économique proche de la famille du président. Leur nombre pourtant limité ne suffit pas à minimiser l’impact symbolique que cette petite caste porte sur l’ensemble de la population tunisienne.
Ajoutons à cette caste royale, celle de ses janissaires : les policiers, appelés « Hakem », substantif singulier qui signifie le «commandeur». Leur nombre est difficile à estimer, puisque certains d’entre eux ne portent pas d’uniforme et se fondent dans la masse pour la contrôler.
On peut aussi identifier la catégorie des "intellectuels" (faute d’une meilleure traduction du mot « mot’thaqqef ») reconnus comme tels. Ils se divisent en deux groupes  qui se côtoient et qui se confondent au grès des opportunités. Les uns faisant le jeu du régime par leur participation à la propagande, les autres, plus discrets concentrent leurs efforts sur tout ce qui ne traite pas directement de la politique tunisienne. Les deux restent cependant  méfiants envers l’Islamisme et l’impérialisme occidental.

Occidentalisés et Islamisés

Ce qui les unit, c’est leur perméabilité à un mode de vie et à un système de pensé hérités en grande partie par des sources exogènes au pays. Ce sont les mondialisés pour le meilleur ou  pour le pire. Ils adoptent par procuration  des idées, des modes de consommation et prennent positions sur  des conflits planétaires oblitérant souvent leurs luttes quotidiennes et leurs revendications citoyennes.
Ils sont les usagers invétérés du même instrument d’information : la Télévision.
Ce qui les différencie ce sont les clefs qu’ils emploient. Les uns ouvrant les portes des canaux arrivant de cultures dites occidentales, les autres ouvrants ceux provenant du moyen orient.
Bien entendu il s’agit de vases communicants. On peut être l’un et/ou l’autre. (on pourra parler d’une certaine schizophrénie)

Ce phénomène pourrait s’apparenter à celui d’une colonisation culturelle, sauf qu’à la différence de celui-ci, il n’est pas unipolaire, non subi mais relativement choisi mais dans une marge très étroite de possibles. La télécommande est l’organe qui permet de choisir entre telle ou telle influence. Il est évident que la télévision n’est qu’un maillon parmi tant d’autres de la chaîne complexe d’influences qui conditionnent le positionnement idéologique d’un individu. Peut être même qu’elle n’est que l’outil de la manifestation de choix déjà arrêtés et définis.
On ne peut pas négliger cependant le pouvoir inducteur de ce meuble vivant qui trône au milieu des salons tunisiens et qui constitue souvent la seule source d’information et de divertissement dans un pays où le débat public a été pris en otage par la propagande.
Certains choix anodins, tels que celui de mettre en favori certaines chaînes plutôt que d’autres, pour des raisons d’affinités linguistiques et culturelles, conditionneront des choix moins anodins, tels que son mode vestimentaire ou ses positions idéologiques.
Ces influences traduisent un vide culturel et politique que le tunisien trouve urgent de remplir par le premier modèle qui se présente à lui. D’où l’absence d’esprit critique et de l’abandon de soi au modèle.
Les islamisés résument le monde à la menace occidentale incarnée par les Etats-Unis.
La religion leur fournira des grilles de lectures binaires par lesquelles ils classeront l’Occident dans la catégorie du mal et l’Orient idéalisé de l’époque du prophète comme la catégorie du bien suprême qu’il faudra restaurer. (Le fameux « choc des civilisations » de Huntington semble opérer)
Chacun à son échelle tentera de s’exprimer en défendant des idées ou en adoptant des comportements dictées par des imams cathodiques. Ainsi, la Foi se présentera pour eux comme une protection contre un mal-être politique et comme un argument pour affirmer une identité mise à mal par la détérioration du niveau de vie et par les injustices sociales. Ils imputeront plus facilement leurs malheurs aux américains et aux « sionistes » qu’au gouvernement en place.
Cela dit, quelques soient les raisons qui ont poussé à un retour en masse à la religion, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, on doit s’interroger sur le résultat de ce choix et de ses conséquences. Peut être en émergera-t-il une nouvelle vision de la société plus juste et plus fraternelle ? Faute de débat publique, nous ignorons le projet, s’il y en a, de cette tendance sociale.

De l’autre côté, nous avons les occidentalisés. Ceux-ci adoptent d’une manière ostentatoire des codes importés d’Europe et craignent tout en restant arrogants dans leur ostentation, la menace intégriste qui plane dans l’aire. Ils iront jusqu’à défendre le régime en place et se refuser à des élections libres par peur de voir les islamistes l’emporter (ce qui est très probable).
Ils établissent une échelle de valeur en fonction de la teneur en « occidentalité » de l’objet ou de la personne jugée. Ainsi, une idée serait juste si elle est exprimée en bon français. (n’oublions pas que la France reste le vis-à-vis tunisien de  ce que l’on nomme occident).
Un spectacle serait forcément « artistique » s’il venait d’Europe.
Dans les domaines plus techniques la référence occidentale s’impose par elle-même confortant une certaine illusion selon laquelle tout ce qui émane de ces pays est bien, beau, vrai, en bref authentique.
Mais cette confiance aveugle envers tout ce qui porte l’essence occidentale (car il s’agit bien d’essence) réveille un complexe de colonisé. Ainsi le tunisien  occidentalisé ne manquera pas de rappeler la décadence,  ou l’impureté de l’occidental (souvent incarné par le touriste). Il méprisera leur supposée liberté sexuelle qu’il confondra avec certaines pratiques perverses.
Il les accusera à tort ou à raison de racisme au moindre manquement de respect.

C’est pour cela que tout occidentalisé, est souvent un islamisé en puissance. Car arrivant à un certain seuil de méfiance envers la prétendue dépravation occidentale, celui-ci pour s’en protéger peut virer brusquement de bord. Le 11 Septembre et la débandade américaine fut le catalyseur de cette tendance.
Il est cependant impossible de voir un islamisé changer de bord car il s’agirait d’un recul puisqu’il est déjà occidentalisé. Le sens du progrès allant vers cette Islamisation mondialisée de la société Tunisienne.

Roturiers et Bourgeois

Cette analyse ne s’appuie pas sur des chiffres ni sur des études universitaires. Il s’agit simplement de repérer des clivages visibles à l’observateur que je suis. L’objectif étant de trouver une nouvelle nomenclature pouvant servir à de futures études plus approfondies. Je pars du principe que l’expérience empirique constitue un préalable à la connaissance.

Le découpage en classes sociales s’applique sans trop de peine à la société tunisienne. Celle-ci ne fait pas exception à la règle, elle est hiérarchisée, dans laquelle certains profitent d’autres. Il y a une sorte de différence de potentiel qui permet de faire tourner le moteur.
La ville est le lieu où cette exploitation reste la plus visible. On la voit dans les foyers des familles aisées, dans la rue, dans les bureaux et dans les usines.
Ceux que j’appelle roturiers, constituent cette population polyvalente qui migre d’un lieu d’exploitation à un autre, d’un secteur d’emploi à un autre. Entre deux embauches elle s’improvise un étalage dans un marché.
L’Etat a décidé de son sort, ou plutôt il l’a abandonnée à son propre sort en la défiscalisant et en la lâchant dans une jungle hostile.
Les employeurs alignent selon leurs intérêts de classe les salaires qu’ils lui attribuent.
Tout semble conspirer pour que cette catégorie démunie ne prenne jamais conscience de sa situation et qu’elle voit rarement ses enfants prendre « l’ascenseur  social » malgré l’obligation et la gratuité de l’enseignement. Elle se retrouve retranchée dans des quartiers populaires où la débrouille, l’improvisation, le vivre au jour le jour se constituent en véritable philosophie du quotidien.
Le silence des syndicats corrompus, l’absence de représentation politique par un parti,  expose ses protagonistes aux chants des sirènes barbues. Leur interprétation de la situation d’exploités s’exprimera en terme de résignation religieuse, une sorte d’Islam sauveur.
Ils n’accuseront pas le système économique d’être la cause de cette injustice, mais plutôt la dépravation morale de la société tunisienne.
Livrés à eux-mêmes pour subsister, ils s’adonnent à leur échelle aux mêmes pratiques immorales de corruption et de prédations. Ils se sentent à leur tour salis et voient dans le rachat religieux un argument de plus pour s’adonner à un Islam expiateur.
Pour ceux qui décident d’agir, ce sera aussi en termes religieux et c’est sur eux que les discours salafistes trouvent écho. Ils seront tentés de partir au djihad en Irak ou ailleurs pour combattre non pas le capitalisme mondialisé (si l’on s’accorde qu’une partie de leurs malheurs vient de cela), mais le Satan occidental.
Cet Islam vengeur se présente encore une fois comme un succédané qui détourne l’individu de la vraie lutte et l’envoie vers des terrains vagues où il n’aura pour ennemis que des ombres.

Quant aux bourgeois, chefs d’entreprises, professions libérales, particuliers, propriétaires terriens, ils font et sont la richesse du pays. Leur rôle est déterminant pour l’économie et se trouvent plus ou moins appuyés par l’Etat. Ils profitent souvent à leur insu d’une situation d’inégalité sociale qui leur permet d’économiser beaucoup d’argent sur le dos de leur petite main-d’œuvre docile. Ils se permettront sans peine de bafouer les droits élémentaires de leurs employés qui, le plus souvent, travaillent au noir. L’absence de syndicats efficaces permet à certains chefs d’entreprises de passer outre certaines conventions collectives en matière d’hygiène et de sécurité. Je ne m’aventurerai pas plus dans la description d’une situation que je juge d’une manière synthétique. Je ne doute cependant pas de la multitude d’exemples que je pourrai trouver pour étayer mes propos.
Cela dit on constate, devant cet état de fait, que les bourgeois -témoins de l’inégalité sociale dont ils sont les premiers bénéficiaires-  se targuent de la générosité et de la patience qu’ils ont envers ces petits gens. Ils vont jusqu’à se considérer comme les bienfaiteurs de la société par leur « prise en charge » de la main d’œuvre. Dans cette illusion de charité, ils attendant beaucoup plus de leurs employés. Ils se trouvent alors très vite déçus du manque de qualification et répondront à cette situation générale par une persécution adressée à la personne. Lorsque, lassés de voir partout cette médiocrité, ils préfèrent l’expliquer par l’incompétence de la race arabe (reproduction du discours de l’ex-colonisateur)  plutôt que d’analyser le système éducatif et la faille structurelle de la politique sociale en général.
Je ne veux pas dire par cela, que le bourgeois manque d’esprit et d’intelligence, mais que dans ce qui constitue sa culture politique -que l’Etat est sensé laisser diffuser- il n’existe pas de discours pertinent concernant la question.  Ce manquement à la culture du débat l’expose à des explications simplistes non constructives.
Pour ces mêmes raisons il cèdera à la rumeur et aux fantasmes. La caste de la famille du président produira en lui une sorte de dégoût fasciné.
Il voit en elle la source de corruption de tout le pays. Il l’accuse (et les faits le vérifient) de s’ingérer dans toute les affaires porteuses ce qui, pour notre bourgeois,  signifie: l’impossibilité de dépasser un certain seuil de progrès ou alors se vendre au Diable.
Le Diable étant souvent une source de fascination, il se présentera pour ceux qui ont décidé de s’y soumettre, un gage de réussite sociale et de pouvoir.

 L’élite économique proche de la famille du président

Caste, tribu, mafia ou simplement famille du président qui par sa situation a profité du pouvoir pour s’enrichir au détriment des entreprises tunisiennes (publiques et surtout privés). J’ignore si une étude sur la question a été réalisée pour mesurer leur impact économique sur les différentes catégories sociales. Peut être que pour les travailleurs, la situation d’exploités est restée la même (elle ne peut pas être pire) et que ce sont les petits bourgeois qui crient au loup le jour où ils ont compris qu’à leur tour ils sont menacés d’injustice.
Cependant, ce que l’on peut noter c’est l’impact psychologique négatif que cette domination produit sur l’ensemble de la population. Il crée un climat généralisé de corruption, d’injustice et d’inégalité. La colère qui s’en suit, si on en croit certains, atteindra une température de fusion qui aura peut être le mérite d’unir enfin le peuple tunisien contre un ennemi fantomatique.
Mais si l’on regarde de près, on verra que cette énergie est dépensée discrètement (en famille et entre amis) dans la description du mal : on énumérera les exemples de sa manifestation, on l’illustrera en blagues et en histoires de harem qui révèlent le « génie » du peuple et son acuité. Quant à une quelconque stratégie d’action, le même qui criait au scandale se trouve muet.
Tout se passe comme si l’on ait décidé du mal pour n’avoir pas à décider du bien (J.P Sartre)
Ou alors on projette le bien dans des abstractions religieuses et idéologiques.
L’accaparation par l’Etat du débat public au profit de la propagande amplifie en négatif les rumeurs et la mystification du mal. Même si les tunisiens ne sont pas dupes de la propagande qu’ils identifient sans peine ils restent néanmoins sujets à des interprétations et des propositions aussi mystiques que le mal qui les range. Le retour à la religion se présentera donc souvent comme le remède contre cette contamination généralisée.
Ce cas précis explique que l’islamisation en Tunisie (réponse abstraite, à un problème concret) n’est pas seulement un phénomène de pauvre, mais aussi un phénomène bourgeois.
Cet Islam est à la fois sauveur et expiateur mais rarement vengeur comme dans le cas des classes inférieures.
Il est sauveur dans la mesure où le projet intégriste s’imposera pour certains de ces bourgeois comme une protection contre l’immoralité de cette caste et de la société toute  entière atteinte par ce fléau.
Il est expiateur dans la mesure où beaucoup d’entre eux, ayant choisi le camp du « diable » se sont à leur tour salis les mains. Directement ou indirectement la corruption a fini par les atteindre eux aussi. Elle leur est devenue une pratique courante qui ne cesse de les culpabiliser mais qu’ils ont appris à ménager par le rachat religieux.

La population policière

Fonctionnaires de l’Etat, sous-payés, ils rattrapent la précarité de leur salaire par les avantages en nature et en argent qu’ils tirent du pouvoir de la fonction. (je ne parle pas des hauts gradés qui exercent leur profession avec plus de conviction)
Gardiens de l’Ordre, ils en restent les garants dans la mesure où ils l’utilisent rigoureusement pour améliorer leur situation économique.
Ceux qui ne portent pas l’uniforme ; « les civiles », sont dévoués à une autre mission : le contrôle.
Existe une 3ème catégorie, moins visible : celle des citoyens soudoyés :
Employés, étudiants ou simplement chômeurs, qui  un jour sous la pression, ou pour des intérêts personnels se retrouvent à travailler pour le compte du ministère de l’intérieur.
Les plus séditieux, pour échapper à la torture, s’adonnent à la délation. Ils balanceront leurs amis ou les intégreront comme eux dans les rangs.
Il s’en suit, que tout civil est potentiellement un agent de l’Etat.
C’est pour cela que l’on ne parlera pas politique avec l’Autre.
Cette suspicion peut aller jusqu’à supposer contaminée sa propre famille.

Ce phénomène de cooptation peut s’avérer limité en nombre, mais c’est encore une fois son impact psychologique qui prend le dessus et qui donne l’illusion d’une infiltration généralisée.
Le citoyen tunisien s’autocensure pour ne pas courir de risque. Il croit que les murs ont des oreilles. Il préférera débattre et s’exprimer sur des sujets moins compromettant, tel que le foot ou la guerre en Irak.

« Les intellectuels »

Par «intellectuels» je désigne cette petite élite visible qui œuvre dans le monde des médias et de l’information. Je ne parle pas de certains universitaires ou des libres penseurs dont l’impact sur la population est quasi inexistant.
«L’intellectuel» en Tunisie est un statut plutôt qu’une attitude, d’où les guillemets.
Si l’on se réfère à l’affaire Dreyfus qui a fait émerger la figure de l’intellectuel incarné par Zola, grâce à son texte « j’accuse ! », on est loin, aujourd’hui en Tunisie de trouver une pareille attitude libre et dénonciatrice.
La prise en otage de la presse tunisienne donnerait pourtant beaucoup d’eau au moulin de l’intellectuel authentique qui pourrait contre cette mascarade généralisée écrire en grand caractère, « J’accuse » !
Ce que je considère comme argument suffisant pour une telle dénonciation ce n’est pas tant l’incompétence du régime, c’est d’abord ce consensus aveugle en faveur du gouvernement. Combien même ce gouvernement serait performant, ce consensus à lui seul est une raison suffisante pour un « j’accuse !».

Si une telle réaction ne s’est pas manifesté c’est pour deux raisons intriquées :
- Le régime censure et punit la contestation, c’est un fait prouvé que je n’illustrerai point d’exemples.
- Les intellectuels sous la menace se sont corrompus et ont construit un appareil idéologique compatible avec la propagande.

Deux attitudes différentes découlent de cet état de fait :
Une attitude active qui assumera pleinement cette position en soutenant délibérément le régime. (un échantillon du quotidien "La Presse" illustrera abondamment mon propos).
Ses protagonistes useront de leur inauthenticité intellectuelle pour filtrer les arguments qui justifient leur position et verront dans la critique objective les signes d’un complot visant à déstabiliser la Tunisie tout entière. Se sentant partie prenante du régime, la pensée devient pour eux un outil de militantisme plutôt qu’un outil de pédagogie.
Leur compromission ne leur offre point d’autre choix que celui d’aller jusqu’au bout et d’être encore plus royalistes que le roi.
Les faits jouent en leur faveur : Le régime a effectivement réussi à hausser le niveau de vie et à contrer l’extrémisme. Pourquoi donc le critiquer ?
Selon eux, les pays occidentaux qui signalent le manque de Liberté d’expression en Tunisie ou l’absence de démocratie emploient des schémas qui ne s’appliquent pas à la « réalité » tunisienne. Ces critiques selon nos « intellectuels » sont donc ethnocentriques (car la démocratie et la liberté sont des valeurs occidentales) et donc colonisatrices.
Et c’est là encore où les faits continuent à jouer en leur faveur, puisque les Etats-Unis en brondissant l’argument de la démocratie, ont effectivement colonisé l’Irak.
En effet, leur filtre intellectuel leur permettra de puiser largement dans les erreurs et les crimes de l’occident pour décrédibiliser certains idéaux universels.
Leur usage des concepts se limitera à sa manifestation concrète plutôt qu’à sa définition abstraite. Ainsi le mot Démocratie ne se définira pas comme un idéal de concertation mutuelle ou de délibération publique, mais comme un système politique occidental destiné à favoriser l’exploitation et l’impérialisme. Ils ne manqueront pas de citer toutes ses contradictions depuis l’exploitation des esclaves par les Grecs (ces inventeurs de la démocratie), jusqu’à Bush et sa guerre en Irak (au nom de la Liberté).
Tout en reconnaissant les avancées sociales et technologiques de l’Occident ils les imputeront aux qualités intrinsèques de sa population disciplinée et mûre. Ils opposeront ces vertus à ceux des arabes, intrinsèquement indisciplinés et donc incompatibles avec une quelconque gouvernance de type non despotique. Et là encore l’Histoire toute entière semble conspirer avec eux pour donner raison à leur thèse, puisque l’humanité ne nous a toujours pas offert une démocratie arabe.

A cette attitude active j’oppose l’attitude passive adoptée par le reste des « intellectuels » qui déploient toute leur énergie à divertir le peuple et à disserter sur les faits divers.
Leur pensée déjà réduite s’autocensure dès qu’elle affleure certains thèmes sensibles. Ils sont alors frappés de mutisme quand il s’agit, dans des champs aussi divers que la culture ou le sport de dénoncer certains dysfonctionnements liées à la corruption, ou au népotisme.
La télévision tunisienne est un bal masqué dans lequel on danse, on chante, on joue au foot, et lorsqu’on est sérieux on loue le gouvernement et on le remercie pour la fête.

Le seul mérite de cette mascarade entretenue par ces pseudos intellectuels, c’est que tout tunisien aujourd’hui identifie clairement la propagande.
Son inconvénient c’est la perte de repère qu’elle suscite. Le citoyen se trouve exposé à tous les vents et peut se trouver victime malgré lui d’une autre propagande encore plus aliénante. Je ne reviendrai pas sur le phénomène d’Islamisation lié à cette prise en otage du débat public.

Dans ce portrait sombre que je brosse du paysage intellectuel tunisien, j’oublie certainement d’évoquer les vrais intellectuels dont la plupart vivent à l’étranger. Ces derniers, libres penseurs, ne jouent malheureusement pas de rôle actif du fait de leur absence et de leur manque de visibilité.

Conclusion

Dans ce portrait de la Tunisie, il manque certainement une grande partie du paysage. 
L’idée générale de cet essai étant de montrer que l’accaparation du débat par le régime ouvre la porte aux fantasmes et aux mythes et  que chaque fragment de la société selon ses particularités accroche aux mythes qui lui conviennent. 

Il est évident que dans cette analyse je procède  d’une manière synthétique et cela pour des raisons purement pédagogiques. Il y a, bien entendu, des individus aux parcours singuliers qui contredisent mes schémas.
Cette grille de lecture ne veut pas figer la réalité tunisienne, elle permet seulement de construire un discours qui se veut pertinent pour un éventuel projet sociétal.

Cependant , et pour terminer sur une note optimiste, le vide politique lié à ce que j’appelle « la prise en otage du débat public» est une occasion à saisir pour en amorcer de nouveaux tout  en prenant garde à ceux qui en profitent pour assouvir leurs intérêts particuliers.

Les Tunisiens ont au moins compris que le message de la propagande est vide. Ils l’ont identifié et ils l’ont même neutralisé. Mais cela ne suffit pas.
Il faut maintenant réfléchir à un projet concret et réalisable qui puisse nous unir.
Je ne possède pas de compétence en la matière, mais j’observe des initiatives individuelles  sur la toile qui me semblent aller dans le bon sens. Malgré la censure du régime, des foyers de débats émergent un peu partout et font circuler des idées constructives qui feront peut être boule de neige.

Une conscience politique se prépare par le canal du web…

Commentaires
B
Je lis seulement aujourd'hui cet article, soit le 29 août 2013, et je dis chapeau, mec ! Je savais que tu étais très bon, d'une très grande lucidité, et d'ailleurs, chaque fois que je peux, je fais ta pub sur Médiapart, mais là, j'en reste sur le cul, et pourtant je suis avare en compliments. Tu fais honneur à ton pays, et certains ici, en France feraient bien de te lire plus souvent. Ca les aiderait à se défaire de la merde qu'ils ont sur les yeux, eux qui se font les idiots utiles des obscurantistes par démagogie et paternalisme. Bravo !
Répondre
A
Joyeux anniversaire Z, je suis une fidèle lectrice depuis le début ou presque :)
Répondre
B
Z, en parcourant un peu ton blog, je me suis arretée sur ce premier article...<br /> En fait, je voulais voir tes tout premiers articles...<br /> Aujourd'hui on est en 2011... <br /> et quand on revient et on lit cet article de toi paru en 2007, on peut comprendre pleins de choses...<br /> <br /> Tu sais Z... Les roturiers me font penser à la Kasbah...<br /> et les bourgeois me rappellent "la majorité silencieuse" d'El Kasbah...<br /> Les roturiers me rappellent aussi la bonne de ta série Ben Simpson :)...<br /> <br /> Les occidentalisés et les islamisés .. me font penser aux récentes revendications (Régime laique/Régime Islamique.... sauf que pour moi.. les occidentalisés décrits dans ton article correspondent à une catégorie de tunisiens qui réclameraient plutot, à mon avis, un pays musulman "modéré" (meme si je trouve ce terme hypocrite).... (je veux dire que ça correspond plutot à des personnes qui imitent..<br /> qui consomment ce qu'on leur donne , mais ne réfléchissent pas trop (pour pouvoir vraiment vouloir un régime<br /> laique par exemple meme s'ils sont occdentalisés)... Ils imitent.. ils ne comprennent pas... et préfèrent etre protégés du mal et de la décadence de l'occident.. par la religion.. qui doit etre tjs là , meme si on la pratique pas vraiment.. Donc ils n'ont pas besoin de chariaa mais.. d'un pays qui se dit musulman..<br /> voilà....)<br /> <br /> Les gens qui comprennent vraiment et qui réclament vraiment un régim laique sont les intellectuels.<br /> Ces intellectuels sont soi des intellectuels qui étaient silencieux et qui réservaient leurs idées pour eux-memes pour l'une des raisons innombrables...<br /> soit des intellectuels qui essayaient de militer contre le régime d'une façon ou d'une autre... .<br /> .. Parce que les intellectuels Z.. ça existe en Tunisie... (et sans guillemets"").. <br /> mais la créativité a tjs été censurée..<br /> toi tu as défié cette censure! et les idées ont fait boule de neige... Ils ont meme fait une explosion Z!!! :)...
Répondre
Z
Ce qu'il y a de positif et à capitaliser c'est cet éffort d'aborder les questions, nul parmis nous n'est détenteur d'une vérité donc nous somme dans un ensemble reltif dont l'appréciation varie d'un expérience personelle à une autre. Toutefois il n'en demeure pas moins que l'analyse nécessite un approfondissement socio- historique dans la mesure ou la société tunisienne malgré tout évolue -peu importe en bien ou en mal- des mutations profondes marquent en permanence las hommes, les entreprises et les institutions. Ma crainte c'est la généralisation ou cette approche un peu impressionniste d'où des jugement rapides à l'emporte pièce. je ne m'attarderais pas sur les parties relatives aux différents antagonismes proposés( occidentalisés VS islamisés- bourgeois VS roturiers- qui est par ailleurs inappropriée car à l'origine c'est une opposition aristo VS roturiers ) et la partie cocernant l'élite économique, pour me concentrer à la question des intellectuels. Tout d'abord le terme intellectuel un un terme bateau fourre tout et fonctionne plutôt comme un raccourci et non comme concept. Je lui préférerais soit intelligentsia ou élites intellectuelles. les groupes décrits ne sont malheureusement pas représentatifs d'un état des choses sur le plan social c'est une description d'un corps de métiers qui se limites aux médias (Journalistes et assimilés tant dans la presse écrite que audio-visuelle) ceux ne pauvent en aucun cas donner une image réelle des acteurs dans le champs de productions des idées et des débats qui en découlent.Vous avez de prime abord exclu les universitaires , les libres penseurs mais aussi les écrivains les poètes les auteurs dramatiques les cinéastes les peintres et j'en passe en affirmant qu'il n'ont aucun impact sur la population, comme si l'impact devrait être un critère décisif!!Donc cet échatillonage s'avère préjudiciable à l'analyse, et c'est de la que vient mon jugement de votre approche comme impressioniste et qui malheureusement est plus proche de l'analyse des "intellectuels des médias" que d'un intellectuel ayant une méthodologie, des références un argumentaire et des illustrations claires. Grands nombres d'hommes et de femmes produisent des idées des écrits et des ouvrages qui à leurs manières se battent quotidiènnement contre la censure parfois ils réussisent d'autre ils échouent mais c'est ça le orix à payer. La bataille autour de la pièce Khamssoune en est un exemple recent. Les débats qui fleurissent ça et là soit dans les sphères associatives démocratiques ou politiques ou sur le net, les nombre de revues virtuelles dans lesquelles des hommes et des femmes développent des idées nouvelles proposées au débat sont là pour dire que malgré la chappe de plomb qui s'abat sur nous la mort de l'intelligentsia n'a pas encore été prononcée. mais malgré tout un point de vue tel le votre ou émis par d'autre n'est pas et ne doit pas être soumis à approbation pour recevoir les satisfécits, ou au contraire pour être "fusillé" et c'est ça ce qui me dérange dans certains commentaire qui ne prennent pas le temps d'expliquer leur approbation ou leur désaccord. Et vous voyer que nous aussi on a pris la mauvaise habitude de " confisquer le débat"
Répondre
O
C'est positif voire pertinent de jauger la configuration sociopolitique du bled.<br /> En revanche, que faire!<br /> L'élite regarde, scrute,encaisse,se démerde! et puis<br /> bien savant qui pourra détenir la clef du neo changement..<br /> Cependant,je crois,moi le laic occidentalisé, que les forces médiévales!! ont un terrain propice pour tenir le taureau par les cornes,eux qui ont guettent ce moment historique que j'appellerai "l'effet papillon"!! lequel! wait & see
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