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DEBATunisie
10 juillet 2022

Les versets sataniques

Ce samedi 10 Juillet, le regard de la Tunisie était rivé sur la finale de tennis féminin à Wimbledon, où notre championne nationale Ons Jabeur a joué un match historique contre la russo-kazakhe Elena Rybakina. Même si la tunisienne (N° 2 mondial, excusez-du peu) a perdu la partie, il n'en reste pas moins que l'exploit d'Ons Jabeur (atteindre la finale d'un tel tournoi) explose le plafond de verre sous lequel vivent des millions "d'afro-arabo-musulmans" relégués pour la plupart à vivre leur destin en éternels spectateurs.

Le plafond de verre

Ce plafond de verre ou plutôt cette chappe de plomb qui nous écrase et nous donne cette terrible impression d'être exclus du "concert des nations", ne concerne pas seulement le sport, mais tout le reste. Bien sûr que "le sud" fait émerger des champions de haut niveau, des cinéastes extraordinaires, des savants, des artistes... mais il s'agit pour la plupart d'individus qui doivent leur succès à leur singularité. Ce sont des "accidents" heureux de la société. Ons Jabeur est une illustration de ce genre d'accident statistique. Cette tenniswoman originaire de Sousse doit son génie d'abord à son propre parcours personnel. Elle le doit moins à l'Etat tunisien, à sa politique sportive (quasi inexistante), à ses équipements (défectueux), et encore moins à sa société conservatrice (allahiste) qui ne voit dans sa jupette de tenniswoman qu'une vulgaire provocation contre les bonnes mœurs.

Ons Jabeur issue de nos sociétés reculées, a certainement encore plus de mérite qu'une joueuse issue du monde développé, car elle a relevé le double défi de vaincre d'abord les défaillances de sont contexte local, pour ensuite vaincre la compétition mondiale.

Si bien que toute cette fierté ressentie par les tunisiens n'a aucune raison d'être. Elle est même obscène cette fierté, car motivée simplement par les instincts grégaires. Je dis cela en partant de la définition de la fierté comme étant ce sentiment positif provoqué par l'accomplissement personnel ou collectif d'un effort, d'un travail ou d'une œuvre grandiose, du moins reconnue comme telle.  

Etat raciste 

Non il n'y a pas de quoi être fier, et pitié épargnez-nous ces hymnes à la tunisianité. Si je ressens ce dégoût, c'est à cause d'un terrible incident passé complètement inaperçu la nuit du 5 Juillet 2022 à l'aéroport de Tunis Carthage. La colère de passagers, comme il en arrive tout le temps du fait du bordel généralisé de l'aéroport (encore un exemple d'un état défaillant), a entrainé une violente répression des forces de l'ordre comme on n'en a jamais vu dans l'enceinte de l'aéroport. Les passagers étaient subsahariens, et il est difficile de ne pas lire dans les vidéos qui ont circulé, une violence gratuite motivée par ce racisme ordinaire tellement répandu dans notre belle Tunisie dont on est fier. Les quelques journalistes qui se sont intéressés au sujet se sont appuyés exclusivement sur la version officielle des syndicats de police (tel que cet article de l'insipide BenSimpsonsnews). A Part les quelques tunisiens indignés dans les réseaux sociaux qui ont partagé ces vidéos (voir ici), circulez il y a Ons à voir...

Si la fierté des tunisiens pour la réussite "individuelle" d'une Ons Jabeur est un sentiment inutile tout juste bon à flatter l'égo d'une essence tunisienne imaginaire, le sentiment de honte en revanche devrait être nécessaire pour dénoncer le racisme de notre police nationale, car cette police relève du collectif. Plaçons notre fierté dans ce qui fait de nous une société et cessons de nous identifier aux success-stories d'individus exceptionnels certes tunisiens, mais qui ne doivent au "nous" presque rien.

Le prophète de Carthage   

Ce qui explique encore plus ce dégoût que je ressens au fond de moi-même, c'est cette indécence du destin qui a voulu qu'Ons Jabeur redonne une fierté illusoire au moment où l'on devrait plutôt avoir honte de notre Histoire. Car je n'arrive toujours pas à accepter que des milliers de gens, parmi lesquels d'anciens camarades, ferment les yeux sur ce qui se passe et acceptent au nom de l'échec des dix dernières années de bordel islamiste, de laisser les clefs de la maison à un proto-dictateur salafiste. Comment est-ce possible après la Révolution de 2011 de revenir à la case départ et risquer même de reculer de 50 ans avec le projet de société allahisée que nous propose la Constitution rédigée par sa majesté ?

De Sadok Belaïd à l'ange Gabriel    

Je ne reviendrai pas ici sur le défilé des imbéciles et des opportunistes qui ont accepté de participer à la mascarade de la dite commission consultative de la Constitution décidée par Zabaïed. J'avoue avoir sadiquement joui du magistral désaveu du président qui a royalement ignoré leur proposition en tirant de son chapeau (ou de sa ventouse) sa propre Constitution, truffée de Saïedâneries, d'allahisme et de fautes d'orthographe (voir ici). C'était le 30 juin dernier qu'il a osé ce tour de passe-passe. Quoi de plus naturel pour celui qui prétend être investi d'une mission divine, de ne supporter aucune intermédiation entre lui et l'ange Gabriel ? 

Mais voilà, comme à l'époque du prophète, le messager d'Allah lui-même n'est pas à l'abri de l'erreur. C'est ce qu'a fini par admettre malgré lui Zabaïed la nuit du vendredi 8 Juillet, où il a pris la parole pour reconnaître que "des erreurs humaines se sont glissées dans le texte".

 WC2_blog

Le prophète lui-même, rédacteur en chef de la Constitution de la Oumma (le Coran), qui n'avait que faire des Sadok Belaïd et des Leïla Toubel de son époque, avait admis que des erreurs s'étaient glissées dans le texte. Satan se serait fait passer pour Gebril et aurait dicté de faux articles (versets). J'en profite ici pour faire une digression et évoquer cet épisode méconnu de l'histoire de l'Islam :

C'était en 619 à la Mecque juste avant le Hégire. Dans une tentative de réconciliation avec les tribus païenne de la Mecque, l'hagiographe du prophète Tabari (839-923) rapporte que Mohamed avait "fait glisser" dans la Sourate de l'Etoile (Sourate An-Najm n°53) un verset décrétant les 3 déesses Ellat, Ozza et Manat, filles d'Allah. Ce rajout "diabolique", qui s'inscrit dans une tactique politique, suscita dans les rangs du prophète la colère des plus fervents défenseurs de l'unicité d'Allah. Frôlant l'éclatement de sa nouvelle religion, Mohamed se résout à se désavouer accusant le Diable de lui avoir dicté ces fameux "versets sataniques" (Cet épisode avait d'ailleurs inspiré le fameux roman éponyme de Salman Rushdie qui avait valu à son auteur une fatwa publiée par l'Ayatollah Khomeini)... Mais l'islam officiel tel qu'enseigné dans nos écoles, occulte cet épisode pourtant reconnu et assumé par la tradition.  

Donc oui ! même le prophète s'emmêle les pinceaux, alors pourquoi pas Zabaïed !

Vote du 25 Juillet  

Donc, c'est sur la base de ce texte accouché par notre président lors de ses convulsions mystiques dans son cabinet, que se décidera le sort de la Tunisie lors du vote du 25 Juillet. Après la mise sous tutelle de l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (voir ici), plus personne ne peut sérieusement faire confiance au résultat du scrutin Référendaire. Alors que j'ai pu sur les réseaux sociaux appeler au boycott du référendum, je préfère ici appeler à voter "NON". Moi aussi il m'arrive de me faire berner par Satan. 
Car s'il arrivait que l'ISIE puisse garder une infime part d'indépendance (ce qui serait miraculeux), peut-être ferions-nous douter notre prophète en votant massivement pour le Non...

Mais un prophète peut-il douter ? En tant que prophète du Boukornisme, j'en doute vraiment.  

Commentaires
B
D’accord sur l’ensemble de l’article,mais je ne partage pas le crédit accordé à l’isie qui fut l’instrument majeur de la falsification des scrutins depuis 2011 ,et le qui le sera une fois de plus pour ce référendum !
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DEBATunisie
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