Des gens biens sous tout rapport
Dans la crise politique que nous traversons, il y a, me semble-t-il, deux attitudes qu'il faudra absolument éviter :
- L'attitude naïve et optimiste qui croit encore pouvoir s'appuyer sur la loi ou les élections du 6 Octobre pour faire tomber le régime. Les faits nous confirment chaque jour que l'on ne pourra JAMAIS discuter avec la Sainte Chléka et son armée. Rappelez-vous que ce sont des gens qui pointent une arme sur nous.
Il n'y a même plus à débattre sur la participation ou non aux élections du 6 Octobre puisque les dés sont pipés, le jeu est pipé et l'arbitre, la chlékador Bouasker, est un vendu assumé. Quelque soit le vote, les chlékistes afficheront le résultat qu'ils souhaitent. Pensez-vous qu'ils vont se gêner ?
- L'attitude "essentialiste" et fataliste : Il s'agit d'un mode de pensée défaitiste qui croit réellement qu'existe "ce peuple qui veut". Combien de fois n'avons nous pas entendu un tel parlant de sa femme de ménage, de son jardinier, de son taxiste ou de son épicier fervents soutiens à Saïed. Ce serait donc encore la faute de ce peuple bête et vil par nature. On reconnait ici le mépris de classe caractéristique de nos Ben Simpsons. Certains anti-saïedistes déprimés vont jusqu'à se réjouir de la catastrophe économique provoquée par Saïed dont le "peuple qui veut" sera le premier à en pâtir. Il l'aura cherché ! bien fait pour la gueule du peuple !
Scientifiquement, sociologiquement, statistiquement, la notion de peuple n'existe pas. D'autant plus qu'en ce moment, le régime fait la chasse aux instituts de sondage. Les statistiques nationales sont trafiquotées par l'Etat comme tout le reste. Il nous est donc impossible de mesurer objectivement la popularité de Saïed, et quand bien même celui-ci serait populaire, quelle valeur donner à une popularité construite sur de la propagande, de la censure et du complotisme d'Etat ?
Reconnaître l'existence du "peuple" comme une réalité objective, c'est donner raison à la propagande de Saïed. Il s'agit d'une attitude très "ben simpsonnienne", prompte à accabler le peuple d'avoir aussi soutenu les islamistes, ou d'avoir été manipulé pour faire tomber Ben Ali...
Les vrais coupables
Le peuple n'existe pas. Ceux par contre, qui parlent en son nom, sont légion et ce sont des Ben Simpson, comme vous et moi. Kaïs Saïed n'est pas le peuple. C'est un Ben Simpson. Vous qui me lisez, vous êtes un Ben Simpson. Moi je suis un Ben Simpson. Le peuple n'existe pas. La femme de ménage dont vous parlez, le jardinier, le travailleur journalier ou le vendeur du marché se comptent peut être en millions mais ce ne sont jamais eux les véritable faiseurs d'opinion, et personne ne les a jamais vu au Pouvoir. Eux ils triment.
Ce sont encore des Ben Simpson qui sur internet parlent au nom du peuple pour soutenir Kais Saïed. Des gens bien sous tout rapport. Vous les croisez parmi vos anciens camarades de promotion, dans vos réunions familiales ou dans les mariages. Ce sont eux encore que vous retrouvez dans l'administration du mal, avec leurs cravates, et leur chemises bien repassées. Leur inclination à soutenir Saïed et à justifier la dictature ne se situe pas sur le terrain de la philosophie politique, de la fibre sociale ni de l'amour de la patrie (comme ils adorent le répéter). C'est beaucoup plus prosaïque que cela et même très décevant.
La banalité du mal*
Si au début du coup d'Etat du 25 Juillet 2021, on pouvait encore excuser certains d'avoir mal évalué la situation et d'avoir suivi "le massar" (le chemin de Saïed) par naïveté, il y a eu un seuil au-delà duquel, les soutiens et les compagnons du président deviennent directement complices du "mal" en question. Je situe le 21 Février 2023, date du discours raciste, le moment de bascule. C'est la date fatidique qui fait définitivement passer du côté obscur Saïed, ses compagnons, et tous ses soutiens. Soudain, vous vous apercevrez que ce ne sont plus vraiment les gens du peuple. Les plus zélés, ce sont ces gens biens sous tout rapport.
Arrivé à cette phrase de mon texte, je ne vous ai toujours pas donné l'explication de la raison du mal. L'inclination à soutenir Saïed, disais-je plus haut, est à situer sur un tout autre plan. Non pas celui de l'idéologie ou de l'idéal politique, car tout esprit rationnel comprendrait très vite que soutenir Saïed conduirait tôt ou tard à la catastrophe.
A mon avis les raisons de cette inclination se situent sur le terrain de la psychologie humaine. Je crois, je suppose, j'émets l'hypothèse, que nous avons réellement à faire à une psychose généralisée d'un bon nombre de nos Ben Simpsons, qui sont mus par des motivations purement irrationnelles, liées à des traumas, des troubles affectifs ou des blessures narcissiques. Saïed constitue pour ces profils, le fou qui a réussi. Il est leur idole, l'exemple à suivre.
Conclusion
J'avoue que c'est très décevant d'arriver à ce genre de conclusion. Mais je n'en trouve pas d'autre. J'en suis arrivé à ce constat basique en observant de près les chlékadors. Un caricaturiste est un spécialiste du visage et de ses expressions ! en analysant Jrad, Jaffel, Bouasker et d'autres, j'ai compris que dans notre société, des individualités tourmentées sont capables de prendre en otage une population toute entière, au nom d'une collectivité imaginaire appelée le peuple. Comment puis-je vous transmettre cette intuition si ce n'est en vous invitant à fixer le regard sadique de Bouasker le 2 Septembre, annonçant le rejet catégorique de la décision du tribunal administratif (voir ici), faisant un doigt d'honneur à ceux qui espéraient encore un minimum d'honneur et de dignité dans la tenue des élections du 6 Octobre...
Mes amis, la fin de ce cirque ne sera possible que par le scénario de la violence de la rue, ou le scénario de l'homme (ou de la femme?) qui de l'intérieur du palais fera le nécessaire. Sinon préparons nous à une descente aux enfers dirigée et conduite, non pas par votre chauffeur de taxi, mais par vos oncles et cousins tarés que vous vous êtes retenus de baffer quand ils vous expliquaient que les arabes ne connaissent que le bâton…
* C'est Hannah Arendt qui développe ce concept en 1963, dans son ouvrage Eichmann à Jérusalem : "Rapport sur la banalité du mal". Elle souligne le décalage entre la banalité du personnage d'une part, et l'ampleur de ses crimes d'autre part (Eichmann était l'architecte de "la solution finale"). Ainsi, à ses yeux, Eichmann n'est pas un fou ou un fanatique, mais un personnage ordinaire. La banalité du mal est alors la capacité d'un homme ordinaire à commettre des crimes terribles.
Evidemment l'ampleur des crimes nazies n'a rien de comparable à la situation tunisienne.
PS: Un petit don pour Z, un grand doigt pour Zabaïed !
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