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DEBATunisie
9 février 2019

DEBAFrance

Vivant entre la Sebkha tunisienne et la Seine parisienne depuis presque 19 ans, j'ai toujours été plus inspiré par l'actualité politique tunisienne que française. D'un côté j'étais poussé par une sorte de patriotisme inconscient qui au vue de la situation préoccupante à l'époque de Zaba me poussait à écrire et à dessiner sur la Tunisie. D'un autre côté, je n'ai jamais trouvé intellectuellement stimulante la situation française, pays riche, puissant, ayant réussi à acheter une relative paix sociale. Et puis, moi l'émigré arabe, que pouvais-je sincèrement apporter à ce pays qui jouit d'une intimidante tradition de journalisme et de caricature. Non, vraiment je n'avais rien à rajouter. Ce n'est point un complexe de néo-colonisé que j'exprime ici, je pense vraiment que c'est un fait objectif.

Certes, on s'est intéresse à moi en tant que dessinateur tunisien témoin du printemps arabe ou alors en tant que caricaturiste "musulman" anti-allahiste. Autant dire que cette dernière propriété pouvait faire de moi une vraie curiosité anthropologique très singulière aux yeux du journaliste bobo parisien. C'est ce qui d'ailleurs me fait passer en Tunisie aux yeux de certains pour l'arabe de service, le vendu de l'occident ou encore l'orphelin de la France coloniale ("aytem França"). Ce que je comprends très très bien.

L'avènement des Gilets Jaunes

Depuis qu'a éclaté le mouvement des "Gilets Jaunes" en Novembre dernier, cette "relative paix sociale" comme je le disais plus haut semble battre de l'aile. Les agitations de ces foules en colère font trembler l'imposant édifice "France". Des fissures apparaissent alors. Elles font ressortir des odeurs et des rumeurs. Des masques tombent. Émerge soudainement l'être bourgeois avec son mépris de classe et sa défense de l'ordre établi. Mais émerge aussi la vieille tradition contestataire de ce pays. Les intellectuels qu'on croyait endormis se réveillent. Todd, Onfray ou cette belle découverte nommée Béguaudeau...Sur le net également, une dynamique nouvelle qui rappelle la blogosphère tunisienne de 2010. Puis le mouvement en lui-même, celui des "Gilets jaunes", insaisissable, imprévisible, mais dont l'objectif reste d'une simplicité déconcertante : faire tomber le régime ("Isqat ennidham"). 

Ce qui est intéressant dans ce phénomène pour nous tunisiens, c'est que derrière les "ors de la République" et la sophistication d'un pays comme la France, nous arrivons à identifier l'équivalent des Trabelsi, des Ben Simpsons, des Borhène Bsaies et des Mezri Haddad. Les chaînes télés et les médias, avec bien sûr plus de sophistication, font de la propagande pour contrer le mouvement en focalisant sur la violence des Gilets Jaunes et en serrant les rangs autour de leur président Macron. La question épineuse du partage équitable des richesses (rétablissement de l'ISF) puis surtout le démantèlement de l'élite capitaliste qui fait du chantage à l'impôt*, voilà ce qu'évite d'aborder sérieusement les commentateurs du système et la bourgeoisie bêtement complice. La consigne étant de ne jamais reconnaître que la France (comme la Tunisie de Ben Ali, certes avec plus de sophistication je me répète) est une ploutocratie, dans laquelle le système lui-même par ses lois et par ses politiques légalise ce fonctionnement oligarchique.

Macron "la poupée gonflable" du système**

Bien entendu, Macron protecteur en chef de ce système a été élu, comme rempart contre le fascisme (comme Ben Ali rempart contre l'islamisme). La bourgeoisie ("les Bensimpsons") adhère hypocritement à cet argument parce qu'elle profite encore un peu plus que les autres du gâteau. Alors quand le chef de l'ordre établi est dans l'embarras on serre les rangs autour de lui, quitte à jouer avec lui la comédie. La pièce de théâtre du "grand débat national" animé par Emmanuel Macron, qui se poursuit alors que celui-ci a prévenu qu'il "tiendrait le cap" (en gros qu'il ne changera rien à sa politique) en est la parfaite illustration. Ce show rappelle pour nous tunisiens, toutes ces vaines tentatives entreprises sous la dictature de Ben Ali pour simuler un semblant de débat public (Rappelez-vous du "Hiwar Achabeb").    

DEBAFrance

Bien sûr mes amis, Macron n'est pas Ben Ali, mais je vous invite sincèrement à opérer une "transposition" d'une réalité sur une autre, de pratiquer une petite gymnastique mentale, pour comprendre que l'occident, derrière l'écran de sa superpuissance technologique, poursuit avec la même perfidie, mais avec plus de subtilité, l'exclusion de "la foule" du VRAI débat public: le débat sur le partage juste et équitable des richesses, du pouvoir et du savoir.

Conclusion

Maintenant que je suis banni en Tunisie à cause de mes dessins blasphématoires, vais-je peut-être transformer mon DEBATunisie en DEBAFrance et devenir un cheval de Troie du Boukornisme en Europe...
Pour finir je remercie tous ceux qui ont soutenu la page Facebook DEBATunisie contre la campagne de signalement qui a été orchestrée par des allahistes qui n'ont pas supporté mon dernier dessin sur le Coran (voir l'article précédent). Grâce à votre mobilisation, la Page a pu résister. Merci et encore Merci ! 
لا بوكرنين الاّ بوكرنين، ولا سبخة الاّ السّبخة    
     

* L'argument classique est d'expliquer que la baisse des impôts en faveur des plus riches permettrait de les retenir et de ne pas les voir investir ailleurs. Il est incroyable de voir combien cet argument, qui revient en réalité à céder au chantage à l'impôt exercé par la minorité fortunée, n'est même plus discutable par certains. Alors que ne viendrait à l'esprit de personne de négocier l'impôt pour les catégories inférieures, on l'accepte volontiers pour la catégorie des privilégiés. S'il existe des politiques incitatives à imaginer afin d'encourager les riches à ne plus voir ailleurs, il existe aussi des politiques coéercitives (la prison par exemple) tout aussi efficaces.    
** Expression de Michel Onfray (voir cette vidéo)

Commentaires
F
erratum en arrière
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F
Cher Z,<br /> <br /> <br /> <br /> Moi aussi je reviens quelques années en arrières. Tu as commencé à écrire pour dénoncer le projet de Sama Dubai à Tunis.http://www.debatunisie.com/archives/2007/09/24/6311850.html<br /> <br /> Mais voilà que mon voisin petit chef d'entreprise parisien,aussi excité qu'une puce en plaine canicule, me martyrise les tympans avec un autre projet, au Cap Bon cette fois, qui lui permettra d'arrondir ses fins de mois compliqués. Je n'ai trouvé que cet article datant de 2017 ...Il parait que les travaux commencent bientôt...alors que les médias n'en soufflent mot...<br /> <br /> http://kapitalis.com/tunisie/2017/05/12/cap-bon-un-projet-eco-touristique-entre-haouaria-et-takelsa/
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B
Décidément la léthargie des intellectuels tunisiens n'est pas nouvelle. En relisant les archives de Débatunisie je redécouvre des pépites du passé qui expliquent le cheminement des événements jusqu'à la situation actuelle (c'est la fonction essentielle des archives). Le texte du 27 août 2007 -texte fondateur qui pose et brasse plusieurs facettes de la société tunisienne- fait le portrait des intellectuels tunisiens de cette époque, portrait qui, finalement, peut être repris aujourd'hui sans rien changer. Il dit en particulier: "Par «intellectuels» je désigne cette petite élite visible qui œuvre dans le monde des médias et de l’information. Je ne parle pas de certains universitaires ou des libres penseurs dont l’impact sur la population est quasi inexistant...<br /> <br /> «L’intellectuel» en Tunisie est un statut plutôt qu’une attitude, d’où les guillemets.…Dans ce portrait sombre que je brosse du paysage intellectuel tunisien, j’oublie certainement d’évoquer les vrais intellectuels dont la plupart vivent à l’étranger. Ces derniers, libres penseurs, ne jouent malheureusement pas de rôle actif du fait de leur absence et de leur manque de visibilité."<br /> <br /> Dans le du texte du 20 AVRIL 2008 intitulé ''Hiwar Achabab'' (http://www.debatunisie.com/archives/2008/04/20/8887381.html), je découvre l'ancêtre du "grand débat national" manœuvre proposée par Macron, la bonne fausse-initiative de ZABA... Je vous incite à lire le texte en entier, il explique en particulier les causes de l'islamisation de la société(déjà!).
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B
Z, j’ai un problème avec toi. Tu as bien dit ‘’Les intellectuels [en France] qu'on croyait endormis se réveillent. Todd, Onfray ou Bégaudeau...’’, des intellectuels qui soutiennent les gilets jaunes of course. Or les intellectuels tunisiens sont dans le coma depuis très longtemps, et il y a peu de chance qu’ils se réveillent ou alors avec de graves séquelles cognitives. C’est vrai qu’il y a un gadget qui porte le nom curieux des missiles irakiens qui n’ont jamais quitté les caves de Saddam, ‘’Le Collectif citoyen Soumoud’’ (Soumoud veut dire résistance!), un groupe de choc au souffle court, il est passé maître de la loquacité des sourds-muets. Aux dernières nouvelles il jouerait à guichet fermé une comédie sans paroles, une commedia dell’arte new-look. Force est de constater (ça y est, j’ai réussi à placer cette phrase à la con !), que l’intellocratie tunisienne, en voulant prendre de la hauteur, elle a chopé la narcose des profondeurs de sa connerie. Quant au devoir d’indignation qu’on a chanté et célébré en 2011, il signe la sénilité précoce visible chez les adeptes des réseaux sociaux . Et pour clore la bérézina, tu choisis de soutenir les Gilles et Jeanne en transformant ton DEBATunisie en DEBAFrance.. Je vais tenter l’ultime stratégie de la dernière chance de l’extrême limite et te supplier de prolonger le PACS avec la Sabkha d’une année… une dernière pour la route ! <br /> <br /> P. S : Z, puisque tu es à Paris et que tu découvres l’excellent François Bégaudeau, vas voir sa pièce ‘’Le Lien’’ qui se joue en ce moment au théâtre Montparnasse.
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_
Et moi qui m'inquiétais de ton absence <br /> <br /> Re-Bienvenu. Cette page résiste encore et toujours à l'envahisseur.<br /> <br /> Il est peut-être temps de rétablir ici les débats, comme ce fut le cas avant l'ère Facebook.
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